Les enseignants

Deux enseignants nous parlent de leur approche à l'égard des enfants dits "difficiles"
« Tous les enfants sont doués pour toutes les

matières. Et, même si ce n’est pas vrai, vous devez

faire comme si.»

Philippe Meirieu
Le soutien de la direction et l'entraide dans l'équipe : deux ingrédients essentiels

Les enfants difficiles, étant donné leur faculté à mettre en échec l’adulte, finissent souvent par épuiser leur professeur. Face à ce type de situations, en parler avec la direction, les collègues, les surveillants, les éducateurs peut être un soulagement. On peut être un excellent professeur, avoir des années d’expériences et rencontrer tout à coup de vraies difficultés avec un enfant.

En parler permet souvent de prendre du recul, d’analyser la situation avec un regard neuf, de se sentir soutenu et de maintenir une bonne image de soi. Les discussions sont aussi des occasions de s’interroger et de comprendre pourquoi cette relation est si compliquée. Qu’est-ce que cet enfant provoque comme sentiments chez moi ? Pourquoi cela me dérange tellement ? Pourquoi maintenant ?,…

Les échanges à propos de l’enfant permettent d’entendre d’autres points de vue sur lui, d’autres approches. Certains professeurs (sports, langues,…), surveillants peuvent avoir une opinion plus positive de lui. Là où je ne vois que son côté insupportable, d’autres ont remarqué sa sensibilité, sa créativité, sa loyauté,... Ce qui peut redonner l’élan pour essayer d’autres approches, redécouvrir l’enfant autrement.

Echanger les points de vue entre professionnels pour les articuler autour d'un projet éducatif commun

L’école est le premier endroit où les enfants doivent apprendre à vivre en groupe, en respectant les règles de vie en société communément admises. Cette contrainte est vécue très différemment selon les familles, les enfants, mais aussi selon le cadre défini par l’école, variable d’une institution à l’autre.
Les familles (et les enfants) doivent comprendre que ces règles du « vivre-ensemble » sont indispensables à l'apprentissage social et ne devraient donc pas être vécues comme une forme de violence, au sens premier du terme. De son côté, l’école doit pouvoir agir en fonction des différences entre élèves, en étant à la fois ferme et souple sur le cadre qu’elle s’est fixé.

En ce qui concerne les apprentissages, l’école d’aujourd’hui est très normative, tout est mesuré, quantifié, objectivé. Les directions sont soumises à des attentes de résultats, les écoles sont en compétition, elles ont des réputations à tenir. Les enseignants sont soumis à des pressions de la part de leur direction mais aussi des parents pour obtenir des résultats, les enfants sont comparés entre eux. Ces attentes de performance à tous les niveaux font souvent oublier que certains facteurs, plus subjectifs, sont également importants. Le sens critique, le bien-être, l’envie d’apprendre, de découvrir et de comprendre le monde sont certes moins mesurables, mais sont-ils moins importants pour autant ?

La question fondamentale à se poser aujourd’hui est : l’école ne doit-elle pas aussi éduquer les enfants ?

Cadre contenant et médiation

Dans la vie de l’école, la direction a un rôle essentiel de cadre contenant. Que cela soit pour les enfants, les enseignants mais aussi pour les parents. Elle est là pour rappeler et surtout faire respecter le cadre de l’école, que chacun puisse connaître sa place et y rester. Maintenir une ambiance sereine pour pouvoir consacrer un maximum d'énergie aux apprentissages.

Cela passe par des actions très concrètes. Intervenir, être médiateur quand la situation se complique entre un enfant et son professeur : recevoir l’enfant, écouter ce qu’il a à exprimer, mais également refixer le cadre. Ecouter également le professeur, réfléchir à des pistes, ouvrir la réflexion. Mais aussi, assister aux réunions de parents et servir d’intermédiaire quand le ton monte entre parents et professeurs,.... Faire respecter le cadre ne veut pas forcément dire faire preuve d’autoritarisme. L’autorité peut s’articuler à l’empathie, ces deux positions ne sont pas antagonistes. On peut éprouver de l’empathie à l’égard de la souffrance d’un enfant, d’un enseignant ou d’un parent, lui faire sentir que l’on est à son écoute, qu’on ne minimise pas son vécu tout en étant ferme dans l’application du cadre.

Renforcer les échanges

La direction doit organiser le travail en équipe, faire échanger les enseignants à propos de leurs pratiques, d’un enfant, de difficultés. En organisant des temps de rencontres formels dans l’équipe éducative (réunions de concertation), elle incite à dialoguer. Faire réfléchir à ce qui est acceptable comme pratique de ce qui ne l’est pas (rendre les copies par ordre de points, les sanctions,…), réfléchir à l’impact que de petites phrases peuvent avoir sur les enfants (‘encore toi’,..), aux étiquettes qu’on leur colle,…La cohésion au sein de l’école et la cohérence du cadre n’en sera que renforcée.
C’est d’autant plus important dans le cas des enfants difficiles, le soutien mais surtout les points de vue (parfois très différents) des collègues peuvent redonner le courage, l’élan et des pistes pour travailler avec l’enfant. Si le professeur de morale explique que tout va bien avec Martin alors que son titulaire ne s’en sort pas, cela ne signifie certainement pas qu’il est meilleur enseignant. S’il peut expliquer comment il parvient à entrer en relation, à l’apaiser, le titulaire peut trouver là des pistes nouvelles pour se remettre au travail avec cet élève. Ce n’est pas toujours simple de recevoir des conseils de la part d’un collègue, mais en ne prenant pas les choses pour soi, en regardant la situation d’un autre point de vue, cela donne de l’air et permet bien souvent de décoincer les choses.

Soutenir

La direction remplit également son rôle en soutenant ses enseignants, toujours. Cela ne signifie pas approuver tout ce qu’ils font. Elle peut dire à un professeur : « Je ne cautionne pas la façon dont tu as agi mais je comprends que la situation soit difficile à gérer, réfléchissons ensemble à d’autres manières de réagir, à des pistes pour faire évoluer la relation». Sentir que la direction est soutenante est essentiel pour travailler en toute sécurité.

La collaboration entre parents et professeur est importante, d’autant plus lorsque l’enfant est difficile. Cette coopération permet de chercher ensemble ce qui est si compliqué pour l’enfant. Est-ce que les comportements problématiques sont les mêmes à l’école qu’à la maison ? Quels sont les trucs trouvés par les uns et les autres pour l’apaiser ? Quels moments ou situations sont les plus compliqués à gérer pour lui ? Depuis quand les troubles sont-ils apparus ?,…

Avant de pouvoir collaborer vraiment avec les parents, il est souvent intéressant d’être au clair quant à nos croyances par rapport à l’enfant. La manière d’interagir avec eux sera différente selon la manière dont on interprète ses comportements.
Plus précisément, si on pense qu’il n’a pas l’intention de faire tourner en bourrique, mais qu’il est en souffrance, le dialogue avec les parents sera sans doute plus ouvert. Sans cacher les difficultés que l’on rencontre avec leur enfant, on peut leur faire sentir que la situation n’est pas sans solution, qu’au contraire elle peut évoluer. Mais que pour cela, nous avons besoin d’eux et de leur collaboration.
A l’inverse, si on pense que ses comportements visent à rendre fou, que c’est personnel, qu’on est en colère contre cet enfant et sur ses parents, le risque est qu’aucun dialogue ne soit possible. Si chaque rencontre est une succession de plaintes, les parents n’auront probablement plus envie de nous rencontrer. Or, leur aide est souvent précieuse pour mieux comprendre la situation et pouvoir y trouver des solutions. Organiser des réunions régulières avec les parents, faire le point en étant franc tant sur les points négatifs que positifs permet d’en faire de réels partenaires.

Si jamais la situation ne s’améliore ni à la maison, ni à l’école, ni dans les loisirs, faire appel à un professionnel (par exemple, le CPMS de l'école) peut devenir une solution. En effet, si l’enfant ne s’adapte à aucun de ses environnements de vie, un professionnel peut apporter un éclairage sur d'éventuelles difficultés plus profondes qu'il rencontre. Cela permet d'éviter que les situations ne s’empirent.

Le traitement différencié consiste à s’adapter à certains besoins spécifiques des enfants. Si un enfant est dyslexique, on peut l’interroger oralement de temps en temps, l’aider à lire une consigne,… L’objectif est que l’enfant vive des expériences de réussite, très importantes pour avoir confiance en soi et maintenir de la motivation à apprendre.

Pour les enfants difficiles, le traitement différencié va en grande partie dépendre des représentations qu’on a de lui. Ne veut-il pas faire ou ne peut-il pas faire ce qu’on lui demande ? Si on pense qu’il ne peut pas, qu’il a des difficultés avérées ou qu'il est en souffrance on aura tendance à être plus indulgent avec lui, tout en veillant à ne pas le figer dans ses comportements ; il y a souvent intérêt à penser qu’il est capable d’un peu mieux que ce qu’il nous montre habituellement. Par exemple, on propose à un enfant qui a des difficultés de concentration, des exercices plus courts, de marcher un peu entre les différents exercices,...

" Pour aider un enfant difficile, on lui donne une place, ainsi il n'occupera plus toute la place"
Philippe Meirieu
S’il a des problèmes de comportement, d’intégration, on peut lui faire distribuer la collation (il peut bouger et se sent valorisé, responsabilisé), lui demander d’être chef d’équipe, d’être responsable du coin lecture,... L’idée est de lui montrer qu’on a confiance en lui, qu’il a une place au sein de la classe.

Bien sûr, ce n’est pas toujours simple de s’adapter aux difficultés de chacun. Mais avec les enfants difficiles, il s’agit souvent de faire de petits aménagements ne nécessitant ni compétences particulières ni temps de préparation.

Pour que le traitement différencié fonctionne, parfois il est nécessaire d’expliquer le pourquoi de ces différences (pourquoi il peut se déplacer en classe, il a moins d’exercices à faire…) aux autres enfants. Même si on pense que cela peut susciter jalousie et incompréhension, en réalité les enfants sont souvent capables de comprendre que chacun est différent. Cela peut les rassurer de voir que les adultes tiennent compte de leurs particularités et s’y adaptent.

Dans une classe, pour apaiser les enfants difficiles (et les autres aussi), certains trucs peuvent aider :


Structurer le temps et l’espace

Structurer le temps et l’espace permet de calmer la tempête qui les habite. Structurer l’espace en délimitant des coins jeux, coins lecture, coins travail,... Ce qui y est autorisé ou non doit être explicité. Structurer le temps en expliquant aux enfants le déroulement de la journée, en affichant un emploi du temps standard de la journée, en faisant des ‘rituels’ pour passer d’un moment à l’autre (ex : respirer une minute en silence avant le moment de travail, utiliser un bâton de parole avant de pouvoir parler,…).

Ouvrir les enfants au monde qui les entoure

Ouvrir les enfants au monde qui les entoure, à la nature et la contemplation. Avoir en classe quelques plantes qu’on arrose chaque jour, les regarder grandir, les dessiner, les prendre en photos, en être responsable (arroser,…). Si c’est possible, pourquoi ne pas aménager un potager ou une petite mare que les enfants entretiennent. Aller se promener, visiter des fermes, observer les arbres, les insectes, les oiseaux. Les enfants, même difficiles, s’intéressent, plus qu’on ne le pense, à la nature et au monde qui les entoure.

Féliciter

Féliciter l’enfant chaque fois que c'est possible, même pour des efforts minimes. Si l’enfant se sent valorisé, encouragé, cela lui donnera sans doute envie de continuer à agir de façon positive, cela augmentera son estime de lui. L’enfant peut surtout expérimenter une autre place que celle de l’enfant difficile.

Jeux de coopération

Utiliser des jeux de coopération qui nécessitent une vraie cohésion, qui font appel aux forces de chacun. Face à un défi à relever tous ensemble, l’intégration des uns et des autres sera facilitée, et probablement que cela créera un sentiment d’appartenance. Pour les enfants difficiles, les nommer chef des opérations, augmentera leur sentiment de responsabilité, et leur implication. Ils auront sans doute moins envie de saboter ce que l’équipe est en train de réaliser.

Activités manuelles

User et abuser d’activités manuelles (bricolage, jardinage, menuiserie,…). Cela permet à chaque enfant de s’exprimer, de trouver un domaine dans lequel il se sent bien, reconnu. Et puis, les activités manuelles sont souvent l’occasion de partager des moments agréables, et d’apaiser l’ambiance parfois électrique au sein de la classe.
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Le tutorat

Le tutorat est également un moyen efficace pour responsabiliser les enfants. En regroupant par paires, un enfant jeune et un plus âgé, on responsabilise le plus grand et on offre au plus jeune la possibilité d'un apprentissage plus horizontal, par un pair. Il est souvent intéressant que les enseignants créent eux mêmes les paires pour qu'une complicité puisse émerger. Ce qui marche bien, par exemple, c'est de grouper un ancien enfant difficile avec le perturbateur actuel.
"J'agis avec eux comme si je ne les connaissais pas, et je ne me fie pas à ce que j'ai entendu à leur propos"


En considérant que les comportements passés et actuels de l’enfant prédisent ses comportements futurs, on l’enferme : « Les gens ne changent jamais vraiment ». Cette vision fixiste du développement ne laisse pas à l’enfant la chance de montrer qu’il peut agir différemment, évoluer et mûrir.

Les étiquettes sont aussi à la source du phénomène d’auto-réalisation de la prophétie.

Cela signifie que les croyances que l’on a à propos des autres influencent la façon dont on va agir avec eux. En retour leurs comportements seront différents. Si on est gentil avec quelqu’un, la probabilité qu’il fasse preuve de gentillesse envers nous est plus grande que si on se montre méfiant ou agressif.

Les étiquettes occultent les compétences de l'enfant et le réduisent à ses comportements problématiques

Si un enfant a la réputation d’enfant difficile, que tout le monde s’en plaint, quand on le rencontre on est influencé par cette étiquette. On va agir avec lui d’une manière particulière. On risque d’interpréter différemment ses comportements, de se dire qu’il est difficile donc qu’il n’y a rien à faire. Si personne ne croit en lui et ne fait le pari qu’il peut être autre chose que cet enfant difficile à supporter, le risque que ses comportements n’évoluent pas est réel.

De plus, les enfants ont tendance à agir conformément à ce que les autres attendent d’eux. Cela montre à quel point, l’enfant agit comme il le fait parce que, finalement, il pense que c’est ce qu’on attend de lui et parce qu’il ne connaît pas d’autres manières de faire.

« Le pire n’advient pas s’il n’est pas figé, inculqué dans l’identité de l’homme (et de l’enfant) par des stéréotypes de langage, des contradictions enchevêtrées, des fonctionnements non interrogeables. L’homme ne reproduit pas le pire par lui-même. Lorsqu’il a accès à l’expérimentation de la liberté, à un agir politique, lorsqu’il s’autorise à parler et à écouter, lorsqu’il peut donner et recevoir, faire un pas de côté sans décevoir, l’homme ne se laisse pas enchaîner à la fatalité »
Hannah Arendt
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