LA LETTRE DE YAPAKA - Edition spéciale du 20 juin 2011

Depuis quelques décennies, le pédophile revêt une figure qui suscite des angoisses démesurées eux égard aux réalités. Si la mise en lumière de faits de pédophilie a permis le dévoilement de situations avérés, la terreur que suscite le pédophile et l’emballement, la délation qui en découlent, largement relayés par les médias posent questions tant sur un plan individuel et collectif.

Par essence en contact constant avec des enfants ou des adolescents, le monde de l’enseignement et de l’éducation se trouve en première ligne pour se voir mis en cause. Et parfois sans fondement aucun. Chacun se souviendra des soupçons proférés à l’encontre d’enseignants et directeurs du collège Saint Pierre à Uccle début des années 90.

Nous partageons avec vous cette carte blanche parue dans Le Soir du 9.06.11

 

Aux innocents les mains vides ! [1]

Nous cinq, anciens directeurs et enseignants du collège Saint-Pierre d’Uccle, entendons mettre en cause la capacité de notre système judiciaire à rendre justice à tous les innocents, dont nous sommes, passés entre ses mains. Nous espérons que cet appel sera suivi d’effet et que l’exposé de notre cas singulier entraînera à l’avenir une juste compensation pour ceux qui, comme nous, auront été blanchis par la justice après avoir été salis par elle. Un bref mais édifiant rappel de notre histoire s’impose pour que le lecteur se souvienne de notre calvaire, lequel a duré huit ans.

Chacun de nous a été accusé par plusieurs plaignants, parents d’élèves au collège, qui de viol sur nos élèves, qui d’attentat à la pudeur, qui de non-assistance à personne en danger. Aux dires des « victimes », nous faisions partie d’un « réseau de pédophiles » organisé au sein même du collège. Ces parents se sont rapidement concertés pour « faire bloc » et dénoncer en chœur des faits que leurs enfants répétaient en boucle comme une leçon trop bien apprise. Finissant par croire à ce qu’ils avaient largement contribué à mettre eux-mêmes dans la bouche de leur progéniture, et qui relevait de la pure invention, ils se sont progressivement mués en justiciers : résolus, selon leurs propres termes, à « avoir notre peau », ils nous ont pris en filature ou filmés à notre insu. Ont enquêté parallèlement à l’instruction sur notre vie privée. Ont pris d’initiative contact avec des « témoins » qu’ils ont tenté d’influencer. Nous ont diffamés à d’innombrables reprises par voie de presse ou sur les plateaux télévisés. Ont initié moult « marches blanches » et autres sitting sur notre lieu de travail. Jusqu’à produire à l’émission Controverse un dessin d’enfant que nous continuons d’arguer de faux, ce dessin ayant été manifestement trafiqué pour servir de preuve soi-disant accablante à notre charge ! [2]

Un dessin trafiqué pour servir de preuve

Nous n’inventons rien : non seulement le détail de tout ce qui précède figure dans la plainte de trente-sept pages que notre conseil, Me Bruno Dayez, a déposée en notre nom en juin 2003, mais le tribunal correctionnel, puis la cour d’appel de Bruxelles, sont arrivés au même constat.

Ainsi, dans deux attendus remarquables, le jugement du 15 mai 2002 concluait : « Attendu qu’après sept ans d’enquêtes et de débats, après d’innombrables devoirs, l’audition de très nombreux témoins, l’intervention de deux juges d’instruction et de deux équipes d’enquêteurs, l’envoi d’une commission rogatoire à Paris, malgré toutes les perquisitions menées au collège et chez tous les prévenus, malgré les inlassables pressions exercées sur le juge d’instruction par les parties civiles (c’est nous qui soulignons), aucun des actes de pédophilie dénoncés au collège Saint-Pierre n’a pu être établi ».

Quant au dommage considérable que nous avons subi, le tribunal note par ailleurs : « Qu’il ressort du dossier que ces événements considérables eurent de graves conséquences pour la santé, la vie professionnelle, sociale et privée de toutes les personnes concernées, pour leur honneur, pour leur entourage et leur famille ; que le fonctionnement harmonieux du collège et sa mission éducative furent gravement perturbés et sa réputation gravement compromise ; que le coût social et personnel est immense, y compris l’image des enseignants dans l’esprit fragile des enfants et celle de l’autorité des institutions ».

Pour sa complète information, le lecteur doit savoir :

Qu’en se constituant partie civile, n’importe qui peut commander l’ouverture d’une instruction ; qu’en l’occurrence, le juge d’instruction n’a cependant inculpé aucune des personnes à l’égard desquelles plainte était déposée ;

Que nous six fûmes acquittés de toutes les préventions mises à notre charge, le représentant du parquet ayant lui-même requis notre acquittement. Que, sur appel des parties civiles, il en alla exactement de même devant la cour, le parquet général requérant à nouveau un acquittement global et collectif !

Ainsi, à tous les stades de la procédure, nous avons été reconnus innocents de ce dont nous étions accusés par les plaignants. Tant par nos juges que par le ministère public. Un acquittement obtenu, non pas « au bénéfice du doute », mais bien parce que, comme l’a pertinemment noté le tribunal, « il résulte de tout ce qui précède que les déclarations des enfants… ne sont ni crédibles ni vraisemblables, qu’elles sont en contradiction constante avec les éléments matériels objectifs du dossier et qu’elles attestent, par leur exagération même, leur caractère imaginaire », ajoutant que « ces enfants avaient perçu intuitivement ce que l’on attendait d’eux : pour ne pas décevoir, ils se sont efforcés d’aller au-devant de cette attente ; que dire le contraire de leurs parents, c’eût été les trahir et risquer de perdre leur amour ou leur confiance » !

« Nous n’avions jamais reçu un mot d’excuse »

Accusés depuis huit ans, cloués au pilori des médias, nous sortions de cette épreuve profondément meurtris, marqués de manière indélébile par la vaste campagne de dénonciation publique orchestrée par des parents en mal de vengeance. Qui était responsable de ce gigantesque fiasco médiatico-judiciaire ? Une enquête en cours depuis des années, dans laquelle des centaines de devoirs avaient été effectués par la police judiciaire, et qui débouchait… sur le néant ! Le tribunal mettait en cause le travail des experts psychologues, allant jusqu’à stigmatiser « leur probité intellectuelle, leur sens des responsabilités et leur compétence ». Nous étions résolus à demander des comptes aux parents d’élèves qui nous avaient dénoncés calomnieusement et qui n’avaient reculé devant aucun sacrifice pour obtenir satisfaction. Inutile de dire que nous n’avions jamais reçu de leur part un mot d’excuse, la moindre expression de regret non plus qu’une offre de dédommagement. Nous avons donc choisi de déposer plainte à notre tour à leur encontre. Mal nous en a pris ! La fin de l’affaire est aussi lamentable que tout ce qui l’a précédé.

Le juge chargé d’instruire notre plainte n’a jamais obtenu, malgré maints rappels, les moyens d’investiguer. Le contenu de notre plainte est demeuré inexploité pendant des années.

Le seul devoir d’enquête qu’il a pu mener à bien a consisté à soumettre les dires des parents d’élèves à une experte psychologue chargée de dire si, selon elle, ils avaient agi en nous dénonçant « avec une intention méchante » (une « dénonciation calomnieuse » est un délit supposant que l’on a agi dans cette intention) ! Quand le juge d’instruction eut terminé cet embryon d’enquête, le parquet a mis à son tour plusieurs années pour établir un réquisitoire de quelques lignes disant, en substance, que cette intention faisait défaut. Et la chambre du conseil, par décision du 19 mai, vient d’ordonner le non-lieu pour le même motif ! Le moindre paradoxe n’est donc pas que nous sommes à nouveau victimes des conclusions d’un « expert » concluant à la « faible probabilité » que nos accusateurs aient agi à notre égard dans le but de nous nuire !

Le public doit être informé

Nous aurions pu relever appel de cette ordonnance, mais à quoi bon ? Cet « Outreau belge » révèle à nos yeux l’absence cruelle de toute forme quelconque de compensation pour tous ceux qui ont été littéralement traînés dans la boue avant d’être disculpés une fois pour toutes. Sous prétexte que nous n’avons jamais été détenus (c’est à peu près la seule avanie qu’on nous a épargnée), nous devrons continuer à vivre comme si rien ne s’était jamais passé. L’injustice de cette situation méritait à nos yeux que le plus large public en soit informé.

Et que chacun médite à l’avenir sur son attitude lorsqu’il s’agit d’embrayer aveuglément sur les accusations portées sur qui que ce soit tant que la démonstration de sa culpabilité n’est pas faite !

[1] Cette carte blanche de Y.M. Boucher, A. Dahin, P. Heymans, P. Matheys et L. Penninckx est parue dans Le Soir du 9 juin 2011

[2] C’est ce dessin qui est reproduit sur cette page.

 

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