[Livre] Le harcèlement virtuel

La complexité de la place des adultes dans le harcèlement virtuel

La place des adultes dans ce phénomène est fondamentale et les adultes qui entourent les adolescents sont nombreux : parents, enseignants, éducateurs, médiateurs, conseillers, infirmiers scolaires, etc. Ils ont tous un rôle à jouer pour stopper ou enrayer le harcèlement virtuel, et ce malgré la complexité de la situation.

Sonder la frontière avec l’adolescence est une des difficultés rencontrées par les adultes. 

Lorsque le harcèlement virtuel survient pendant la période de l’adolescence, celle-ci rend plus difficile la lecture des signes cliniques. En effet, le processus de l’adolescence engendre une série de transformations (corporelle, relationnelle, identitaire) qui induit une souffrance psychique et des bouleversements dans le comportement de l’adolescent. La frontière entre le normal et le pathologique apparaît encore plus ténue. L’adulte, qu’il soit parent, éducateur ou enseignant, peut se trouver démuni face à ces changements ; il peut également très (trop) rapidement créer une corrélation entre les signes cliniques du harcèlement et la crise adolescente. Certains parents, après la révélation du harcèlement de leur enfant, avouent, désemparés, qu’ils avaient bien remarqué certains signes mais pensaient qu’il s’agissait de l’adolescence. Ainsi, les signes d’anxiété, de repli dans la chambre, d’humeur irritable, d’isolement en classe, peuvent être pris comme des formes d’opposition ou des signes de déprime, de mal être, propres à cette période de vulnérabilité. Il apparaît donc essentiel d’éviter toute conclusion hâtive sur les comportements d’un adolescent et de l’accompagner à la verbalisation et, si l’échange s’avère impossible, de l’accompagner vers une personne tierce, thérapeute ou conseiller, pour lui offrir un espace de parole.

 

L’adolescence amène également sur le devant de la scène la question de la sexualité, source d’excitation, d’angoisse et de honte à la fois pour le jeune et pour les parents. Par l’advenu de la génitalité, l’adolescent doit se constituer une intimité en dehors du regard des parents, afin de préserver une suffisamment bonne distance générationnelle non menaçante et non angoissante de la menace œdipienne de l’inceste. Or, comme nous l’avons vu, une des causes majeures du harcèlement virtuel porte sur le sexuel dévoilé sur un lieu public. Cette révélation d’ordre sexuel va amplifier le sentiment de honte, et le silence sera d’autant plus scellé par le tabou de la sexualité à l’adolescence entre parents et enfants. Cette impossibilité de recourir aux parents s’inscrit alors dans un principe fondateur de l’adolescence, celui du remaniement œdipien, exalté par l’advenue de la sexualité génitale. L’adolescent, tout comme le parent, ne peut parler de sa sexualité, au risque d’abolir la différence des générations, ce qui serait vecteur d’angoisse déstructurante. L’adolescent, en plus de l’attaque narcissique du fait du harcèlement, tente aussi, par le silence, de lutter contre la menace de l’inceste, devenue potentiellement réelle par l’accès au génital (accouplement entre parents et enfants, qui, dans la petite enfance, se manifestait par le désir d’épouser son père ou sa mère) en maintenant une séparation générationnelle qui lui assure l’absence de transgression du tabou et maintient l’ordre des générations, l’ordre symbolique du monde. Lorsque le harcèlement virtuel porte sur la sexualité, l’adolescent tentera de voiler, de cacher son mal être par crainte de la sanction et du jugement sur son comportement sexuel ou amoureux. L’adulte sera mis à distance du fait de la concomitance de l’agression du jeune avec les remaniements œdipiens et sexuels opérant chez l’adolescent.

In « Le harcèlement virtuel », Angélique Gozlan, Temps d’arrêt, p.49, octobre 2018

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