[Texte] Enfance et risques d’Internet : mythes et réalités

Internet, au même titre que tout progrès, comporte sa part de nouveaux risques. En permettant de dupliquer à des millions d’exemplaires la pensée humaine, l’imprimerie a servi aussi bien à populariser Gandhi que Mein Kampf. Le cinématographe des frères Lumière a permis la réalisation de chefs d’œuvre mais aussi le développement sans précédent de l’industrie pornographique ou la prolifération de films « grand public » ultra violents.

Comme toute nouvelle technologie, Internet suscite des craintes qu’il faut prendre en compte de manière raisonnée. Deux questions, qu’il y a lieu de séparer, doivent être examinées : l’une concerne la pédopornographie, l’autre les éventuels risques encourus par les enfants.

1. Internet et la pédopornographie.

Le récent arrêt de la cours de cassation (procès de Victor Hissel) vient de rappeler - si besoin en était ! que la consommation d’images pédopornographiques est un crime. La consommation de ces photos ou vidéos[1] suscite leur création ; le consommateur participe donc à l’infraction.

Les peines encourues font en sorte que ces images sont difficiles d’accès et qu’on ne tombe pas dessus « par hasard »[2]. Le risque qu’un enfant ait accès à de la pédopornographie et en soit choqué est quasi nul.

Tout autre chose est la poursuite nécessaire de ceux qui créent, mettent à disposition ou consomment ces images.

La question est de savoir quels doivent être les acteurs de ces poursuites. En Belgique, une ONG – Child Focus – sert d’interface entre les citoyens et la police, permettant ainsi à tout qui le souhaite de dénoncer des activités pédopornographique sur le web. Ceci pose deux questions : l’une en termes d’efficience, l’autre en termes d’effets contre-productifs.

On peut en effet s’interroger sur l’efficience de ce dispositif : En 2010, environ 1.300 dénonciations ont eu lieu. Combien de sites (ou autres systèmes) différents sont-ils concernés ? S’agit-il de lieux inconnus des services de police ?

Mais notre questionnement devrait surtout concerner les éventuels effets pervers de ce dispositif. Qu’une ONG joue interface entre le citoyen et la police pour donner une image plus cool à la délation[3] pose de nombreux problèmes et entraîne une confusion dommageable entre deux sphères : celles de la répression et celle de l’aide. Verra-t-on demain une ONG suscitant la dénonciation des dealers présents à la sortie des écoles ? Et après demain une ONG qui surveille des alcooliques qui prennent le volant ?

L’image d’une enfance innocente et bafouée sert de paravent à des pratiques que l’on oserait imaginer dans d’autres domaines infractionnel ce qui relève pourtant du même niveau logique. Autant les deux sphères de la répression et de l’action citoyenne sont indispensables toutes deux, autant leur différentiation est également essentielle sous peine de les déforcer l’une et l’autre.

Nos démocraties sont fondées sur l’a priori de la solidarité et, ce n’est que quand elle est transgressée que la force publique, prenant sur elle les violences individuelles, intervient. Assurer une certaine promotion de la délation vient saper cette solidarité et ouvre la porte à des mécanismes où chacun se sentirait autorisé à devenir chevalier blanc et justicier.

Nous estimons qu’il revient aux services de police de poursuivre les infractions quelles qu’elles soient, sur base d’éventuelles dénonciations qui lui sont directement faites et que le monde associatif n’a pas à intervenir dans ce domaine.

2. Nos enfants et Internet

La crainte devant l’inconnu d’une technologie mystérieuse et non maitrisée amène de nombreux adultes à s’inquiéter et à demander des informations, par exemple dans le cadre d’associations de parents. Une des réponses trop souvent apportée relève des démarches qui se dénomment « Safe Internet » et qui nous semblent contre productives.

Tout d’abord, campagnes et actions « Safe Internet » induisent qu’Internet est « unsafe » si l’on n’y prend garde. Ceci augmente l’angoisse de parents déjà inquiets devant une technologie qu’ils comprennent mal.

De tout temps, les adultes ont été amenés à introduire les enfants au monde et à ses dangers. Comme dans tout domaine, l’éducation de nos enfants est un apprentissage des risques de la vie : « Si tu t’approches du feu, tu risques de te brûler. Regarde avant de traverser la rue… » . Mais chacun sait que ce n’est pas en étant mis sous cloche qu’un enfant devient un adulte. Même si, en tant que parent, on le souhaiterait parfois.

En mettant l’accent sur le risque, cette orientation manque le coche de l’extraordinaire outil d’apprentissage qu’est Internet. L’engouement qu’il suscite offre un puissant levier pour faire réfléchir à bien des thèmes relevant de l’apprentissage à la citoyenneté à l’éducation aux médias, à l’éveil de l’esprit critique : la liberté de parole, la représentativité, la séparation vie privée / vie publique, le recoupement des sources, le lobbying, le droit à l’image, ...

Dans un avenir proche, chaque écolier aura son ardoise électronique. Plutôt que de créer des programmes spécifiques sur les dangers d’Internet, nous pensons préférable que parents et enseignants mettent en place des programmes qui prennent en compte Internet (ses avantages et ses risques) dans le cadre des activités scolaires classiques.

De plus, si l’adulte persiste à assimiler internet à un environnement dangereux et mauvais, l’enfant qui aurait été confronté à des contenus qui le mettent mal à l’aise sera plus en peine de se confier. Il risque de se sentir en faute ou honteux d’avoir été sur le web et éprouvera d’autant plus de difficultés à aborder la discussion avec un adulte. Cette démarche vient alors opérer une fracture au détriment d’un climat de confiance entre les enfants et les adultes chargés de les protéger.

De manière générale, tant dans les actions contre la pédopornographie que dans celles qui visent à protéger les enfants, nous regrettons une trop fréquente culture de la peur qui non seulement ne se justifie pas mais entraîne des effets pervers dommageables au développement des enfants.

 

A titre complémentaire, nous reprenons ci-dessous quelques unes des questions les plus souvent posées par les parents.

Rencontrer un pédophile sur Internet ?

Effectivement, certains adultes « draguent » des enfants ou des adolescents sur Internet[4]. Ce risque est cependant faible et on a tendance à l’assimiler avec le fait que certains adultes visitent des sites pédophiles, ce qui est un tout autre problème.

Prévention :

Avant tout, il y a lieu d’en parler en famille : comme pour toutes ses découvertes, l’enfant attend des adultes un cadre rassurant et structurant qui lui permette de se créer des repères. Aider l’enfant à avoir confiance dans la manière dont il peut ressentir les relations et lui poser des limites va l’aider dans toutes les rencontres qu’il sera amené à faire.

Apprendre à nos enfants à distinguer le vrai du faux, la fiction de la réalité. « Ce n’est pas parce que quelqu’un rencontré sur Internet dit avoir 10 ans que c’est vrai. Tu ne le vois pas, et il peut écrire n’importe quoi. » Ceci commence d’ailleurs dès le plus jeune âge : en décodant avec l’enfant les flux d’informations et de publicité qui sont déversés par les médias.

Apprendre aux enfants à ne pas donner son adresse ni accepter de rendez-vous sans en parler à ses parents. A ceux-ci ensuite d’organiser une éventuelle rencontre car il n’y a pas de raison de principe pour que le virtuel reste cantonné au virtuel.

Le harcèlement

Si les enfants ou adolescents peuvent être au prises avec un adulte, ils peuvent également l’être avec un ou plusieurs de leurs pairs dans un harcèlement (sexuel ou non)

Prévention :

L’exhibition, la demande d’exhibition, le harcèlement sexuel... qui se déroulent sur la scène d’Internet doivent être pris en compte dans le cadre des programmes d’éducation affective et sexuelle au même titre que les autres pratiques et offrent une occasion de faire réfléchir aux questions propres à l’adolescence telles l’envie de séduire, le consentement,...

Les harcèlements qui relèvent de phénomènes de bouc émissaire sont (comme le racket) des symptômes de malaises au sein de toute une communauté éducative (parents compris) et doivent être pensées à ce niveau là, plutôt que réduits à des situations individuelles (ce qui renvoie encore plus la victime à sa solitude).

Etre confronté à des sites pornographiques ou violents

L’enfant ou l’adolescent est curieux de la sexualité et c’est bien normal. De tout temps, il a cherché des informations, des images… une manière de comprendre et maîtriser ce qui se passe dans son corps, ce qui l’attend. Cependant, avec Internet, non seulement les images émergent de l’extérieur plutôt que d’être « imaginées » mais de plus elles vont jusqu’à faire irruption indépendamment du fait qu’on les recherche. Ainsi, elles n’arrivent souvent pas en concordance avec le développement affectif de l’enfant. Le risque essentiel est que l’enfant croie que cette image de la sexualité correspond à la réalité, voire qu’il devra pratiquer « tout cela » pour être dans la norme.

Prévention :

On voit à quel point le décodage des médias tel qu’indiqué précédemment a toute son importance.

Une éducation sexuelle mais surtout affective au sein de la famille et avec des adultes qui favorisent le dialogue permet à l’enfant d’apprendre que sa vie amoureuse, notamment sexuelle, il devra l’inventer pas à pas avec celui ou celle qu’il choisira. Aborder ceci, avec pudeur, au travers des petits faits du quotidien reste la meilleure des préventions face à l’omniprésence d’une sexualité de consommation qui dépasse d’ailleurs Internet.

Mais d’autres « découvertes » peuvent poser problème au développement de l’enfant si elles ne sont pas accompagnées d’une prévention par le dialogue avec les adultes. Pensons à des images de violence gratuite qui, parce qu’elles embarrassent moins les adultes que le sexe, font l’objet d’encore moins de précaution. Là aussi, le décodage, le dialogue, l’explication restent les meilleurs outils éducatifs, tout en gardant à l’esprit qu’une image ou une séquence anodine pour l’adulte peut être troublante pour l’enfant. D’où l’importance d’écouter celui-ci et de rester ouvert à ses questions.

Se perdre dans l’écran

Internet peut autant être un outil de découverte, de connaissance, de communication qu’un gouffre où l’on peut se perdre ; autant un lieu qui contribue à se construire une intimité qu’un espace où l’on tourne en rond de manière compulsive. Comme toute activité, comme tout espace, il doit être limité.

Prévention :

Réfléchir entre adultes et enfants à la fonction des écrans (pas seulement d’ordinateur). En quoi contribuent-ils à s’ouvrir au monde ou à rester enfermé chez soi ? En quoi permettent-il de rencontrer les autres ou de ne retrouver que du même ?

Quoi qu’il en soit, à un moment ou à un autre, c’est à l’adulte qu’il revient de mettre la limite, ne fusse que pour rappeler l’importance de la vie de famille (les repas), de la vie sociale (aller à l’école), du sommeil…

 

Que penser des filtres ?

Encore faut-il se poser la question de l’âge de l’enfant laissé seul devant Internet : laisse-t-on un enfant de 6 ans sans accompagnement dans une ville qu’il ne connaît pas ?

Les meilleurs filtres sont ceux qui se transmettent dans la relation entre adultes et enfants. Car une barrière extérieure restera toujours franchissable et, dans ce registre, la créativité des enfants ou adolescents est un talent qu’il faut leur reconnaître. Ici comme dans d’autres domaines, la priorité est d’apprendre aux enfants à intégrer des limites intérieures. Elles lui permettront de vivre en société.

Dans certaines situations, et même s’ils ne sont jamais fiables à 100% (ils ne le seront d’ailleurs jamais), les filtres peuvent être une solution pour préserver les enfants les plus jeunes de l’intrusion accidentelle d’images pornographiques ou ultra-violentes par exemple.

Les parents qui souhaitent installer de tels systèmes peuvent se renseigner auprès de leur fournisseur d’accès ou encore trouver sur Internet des solutions payantes ou gratuites.

Il y a lieu de dire aux enfants qu’un filtre est installé et qu’ils n’ont donc pas accès aux mêmes sites que leurs parents.

 

Il faut également mentionner que d’autres technologies permettent de filtrer des sollicitations indésirables pour toute la famille.

Des adaptations législatives, des filtres placés au niveau des providers, des réglages adéquats des browsers, voire l’ajout de plugin permettent de réduire considérablement spam et autres publicités intrusives. Une information citoyenne, régulièrement mise à jour, manque dans ce domaine.

 

[1] Nous n’entrons pas ici dans le débat qui s’imposera quand les images seront de synthèse.

[2] L’affirmation de Child Focus mérite d’être évaluée « Par le biais de son point de contact civil «stopchildporno.be », Child Focus tente de freiner cette évolution en invitant les citoyens à signaler les images d’abus sexuels d’enfants découvertes par hasard sur le Net. » (Rapport annuel 2010-11, pg 33)

[3] On notera que ces dénonciations sont dénommées « signalement »

[4] Nous nous refusons à adopter ce nouveau terme de « grooming » qui sous entend que ce problème serait neuf et nécessiterait, dès lors, de nouvelles solutions.

 

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