[Texte] Malmener ou brutaliser un bébé : impensable ?

La vulnérabilité du petit d'homme suscite immanquablement l'idée qu'une prévenance particulière à son égard est de mise. Et pourtant…

Le bébé met à jour, et de façon exacerbée, l'ambivalence humaine, la polarité des émotions qui nous animent. On peut se sentir émerveillé et attendri devant un bébé sage ou endormi dans les bras, mais se sentir agressif et rancunier lorsque ce même bébé interrompt sans cesse nos nuits, pleure en continu, refuse de s'alimenter…

L'écart entre les émotions éprouvées est désarçonnant, troublant, c'est blanc ou noir, "on" ou "off". Aucune possibilité de composer une moyenne avec laquelle se débrouiller, comme on le ferait pour un adulte chez qui on peut reconnaître la coexistence de qualités que l'on apprécie et de défauts qui agacent.

Pouvoir penser et oser observer les écarts entre ses propres émotions permet de ne pas laisser libre cours à ce que ces dernières suscitent comme mouvements impulsifs à l'intérieur de soi.

Se percevoir exaspéré, tendu, prêt à passer à l'acte permet justement de se mettre à soi-même des gardes-fous.

Repérer, décoder, examiner ce qui se passe à l'intérieur de soi face à un bébé est la démarche qui prévient les dérapages potentiels vers la violence.

Penser les émotions qui nous animent s'apprend dès l'enfance dans le contact avec ses propres parents. Ceux–ci, dans le quotidien des échanges, traduisent les états de leurs petits et ainsi leur permettent de les identifier et de les nommer : « Tu as eu peur », « Tu sembles triste », « Oh, tu es fâché, te voilà même en colère », « C’est chouette, tu es toute joyeuse »… Lorsque cet apprentissage a fait défaut, l'adulte, confronté à ses sentiments agressifs face à un bébé, risque de se laisser submerger par ses émotions et de passer à l'acte.

Il n'y a pas de honte à éprouver des envies agressives face à un bébé mais il y a une responsabilité à les canaliser, les inhiber.

On ne dira jamais assez combien s'occuper d'un bébé est une entreprise émotionnellement sollicitante et combien un nourrisson peut éveiller des mouvements agressifs à l'intérieur de chacun.

Certains parents se sentent si mal de s'apercevoir qu'ils éprouvent de la colère ou de l'agressivité face à leur petit, que la tension monte encore davantage en eux et risque alors de se décharger impulsivement au préjudice du bébé. Un cercle vicieux s'enclenche alors; le parent, se libérant de ses tensions tout en en générant de nouvelles par la culpabilité qui surgit, ne peut sortir de cette spirale sans intervention d’un tiers.

L’arrivée d’un enfant dans la famille est un événement qui appelle la solidarité, la présence d’un entourage soutenant qui puisse être relais lorsque la fatigue, la tension ou la vulnérabilité se profilent.

L’aide professionnelle auprès des parents consiste, outre un travail sur leur passé, à soutenir la reconnaissance de leurs pulsions violentes, à évaluer pour eux-mêmes le risque d’un passage à l’acte, à chercher une issue concrète à ces moments de tension extrême et ainsi à ne plus en avoir peur.

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