Le Code pénal et les sextos

Quand les adolescents sont absolument sidérés d’apprendre qu’il est légal pour eux d’avoir des rapports sexuels mais que se prendre en photos, nus, pourrait relever de la pédopornographie et faire l'objet de poursuites.

La loi du 13 avril 1995 a ajouté un article 383bis* dans notre Code pénal grâce auquel la pornographie enfantine est désormais passible de poursuites pénales.

Le site de la police fédérale précise que " La pornographie enfantine diffère de la pornographie ordinaire sur base du critère de l’âge, à savoir de la minorité (sexuelle) - 18 ans.  Il n’y a pas d’importance si ce sont effectivement des mineurs qui sont impliqués ou que ce soit l’image du mineur qui soit suggérée (par exemple mangas)."

" Ce qui est punissable, c'est "la diffusion de pornographie enfantine via l'Internet (www, e-mail, newsgroups), mais également la possession (sur le disque dur ou tout autre support électronique ou optique) de pornographie enfantine." "

Ceci pose  de nombreux problèmes, nous en mentionnerons trois et nous attarderons sur le dernier.

  1. Le premier problème a été relevé par Jean Blairon et Jacqueline Fastrès dans leur analyse de la campagne de Child Focus  «  la « star » souteneuse de la campagne ne semble pas avoir hésité à recourir, dans ses prestations, à l’imitation...de la pédo-pornographie ; un site propose en effet ceci : « Photos de PussyKat, bombe asiatique, nouvelle starlette du X Français en tenue d’écolière ». «  et de rappeler la mention que nous reprenons plus haut sur le site sur le fait que seule l’image du mineur suggérée suffit à qualifier l’infraction. Vaste champ...
     
  2. Le second problème concerne la confusion pénale entre fantasme et réalité. On peut certes considérer que le fait de détenir des images pédopornographiques suscite leur création et donc l’abus d’enfants... pour autant qu’il s’agisse d’enfants réels. Les choses sont plus complexes à comprendre quand il s’agit de fiction : les mangas, comme indiqué ou des images virtuelles, dont on peut s’attendre à voir leur création. Le simple fait de visionner des images, même fictives, pousserait au passage à l’acte ou au contraire l'éviterait ? Dans un sens ou dans l'autre, difficile à démontrer. Interdirait-on les films policier sous peine que les meurtres qui y sont mis en scène pousseraient au crime? Et demain, les livres de Tony Duvert ou Gabriel Matzneff? Ce glissement de la criminalisation des actes aux fantasmes fait curieusement penser à la confusion chrétienne des péchés en actes et en pensée.
     
  3. Le troisième problème sur lequel nous allons nous attarder concerne l’échange de sextos chez les adolescents. fred pailler, qui anime Politiques des affects, un carnet de recherches hébergé sur la plateforme universitaire culturevisuelle.org " nous propose la lecture d'une conférence de danah boyd, ethnographe, sur les enjeux technologiques, moraux et culturels liés à la pratique du sexting (« sex » + « texto »).
    Nous rejoignons ici à la fois la question des paniques morales, exemple est donné de ce qui s’est déroulé en Australie puis aux USA, mais aussi le code pénal, car, aussi bien en Belgique, en France qu’aux USA ; il est en effet sidérant de considérer qu’il est légal que des adolescents aient des rapports sexuels mais pas de prendre des photos d’eux nus et de partager ces images.
    Sans doute, en termes de prévention, est-il nécessaire de se pencher sur ce type de question, d'où la lecture que nous vous proposons, ci dessous.

 

L’échange de sextos chez les adolescents et son impact sur le secteur des technologies

Conférence de danah boyd - Read Write Web 2WAY Conference 2011 June 13, 2011 - Traduction, résumé et notes :fred pailler

[Il s'agit c'est d'une transcription rapide et non-publiée de la conférence. Cette conférence a été écrite pour être présentée devant une salle pleine d'entrepreneurs du secteur des nouvelles technologies et de geeks. C'est un appel à l'action qui est lancé à cette industrie. Je la mets à disposition le plus largement possible mais il est capital qu'elle soit comprise dans son contexte, du fait que le « vous » qu'elle utilise désigne implicitement ceux qui s'investissent dans la création et la gestion de startups.]

 

La plupart d’entre vous a probablement déjà lu les histoires affolantes au sujet d’ados qui se sont fait prendre à envoyer des sextos(1). Vous devez même avoir entendu les histoires salaces à propos d’enseignants qui échangent des sextos avec leurs étudiant-e-s. Et, à moins d’avoir passé le dernier mois sur une île déserte, vous avez probablement entendu une infinité de blagues au sujet d’Anthony Weiner(2) et du scandale déclenché par ses textos à caractèrel sexuel. Alors que la plupart des américains n’avait jamais entendu le terme « sexto »,il y a encore quelques années, celui-ci figure dans toutes les unes de journaux ces jours-ci. Et alors que vous devez avoir lu ces histoires dans la presse, vous n’imaginez peut-être pas combien elles vous concernent. Plus que tout autre phénomène ado, plus que justin Bieber ou les mignons petits chats [ndlt : les images de chats sont très populaires sur le web], les échanges de sextos par les ados sont quelque chose que vous devez prendre en compte. Et vous devez vous y atteler aussi vite que possible, à la fois parce que c’est le bon choix à faire, et parce que vous serez considérés comme légalement responsables si vous ne faites rien.

Quand, il y a quelques années à peine, il a été repéré par la presse australienne, le terme de « sexting » désignait le fait d’envoyer des contenus sexuellement explicites par sms. La plupart du temps, les gens faisaient référence au fait d’envoyer et recevoir des messages textuels impudiques, l’équivalent sur téléphone portable du cybersexe des services de discussion uniquement textuels des débuts de l’internet [ ndlt : ou du minitel rose, pour la France]. Depuis, le temps qu’il atteigne la presse grand public des USA, ce terme est devenu synonyme d’envoyer et recevoir des images ou des vidéos de nus ou érotiques, et ce, par n’importe quelle manière de communiquer passant par internet. Et jusqu’à ce que le député Weiner se soit ridiculisé, le terme de « sexting » était plutôt utilisé pour suggérer la stupidité des adolescents.

Même si vous n’êtes pas parents, vous avez probablement entendu raconter des exemples dans lesquels les échanges de sextos entre ados finissent par terriblement mal tourner. Des ados partagent des photos intimes avec leurs amoureux-se-s seulement, et se retrouvent humiliés publiquement quand les photos se diffusent [« go viral »] après la rupture. Des filles méchantes utilisent des images de sextos pour harceler et bizuter. Des enfants sont arrêtés et poursuivis pour avoir produit, possédé et diffusé de la pornographie infantile d’eux-mêmes [ndlt : nous soulignons] par des procureurs sans scrupules. Il n’a pas fallu longtemps à l’échange de sextos pour passer de l’usage des téléphones mobiles pour se séduire entre adultes au fait de désigner de la pornographie infantile produite par des enfants.

Quand on s’intéresse à la couverture médiatique de l’échange de sextos, il est difficile de ne pas lever les bras en l’air en s’exclamant « Les gosses, de nos jours ! Mais à quoi ils pensent !?!?! ». Répondre à cette question de génération, c’est mon job. Je suis une ethnographe, et je passe une bonne partie de mon temps à courir les USA pour traîner avec des adolescents afin de comprendre pourquoi ils font ce qu’ils font quand ils utilisent des technologies. L’essentiel de ma conférence aujourd’hui va consister à expliquer les logiques culturelles derrière l’échange de sextos par les ados. J’aimerais que vous compreniez pourquoi l’échange de sextos des ados est une activité très rationnelle aux conséquences très irrationnelles. Mais je voudrais aussi que vous compreniez que l’échange de sextos entre ados n’est pas juste un problème pour ceux qui ont un penchant pour l’anthropologie. Et si vous êtes dans le business des « contenus générés par les utilisateurs », des services de cloud [le stockage de données et l'offre de services en ligne], ou encore des services sur mobiles, vous vous devez de prêter attention à ce problème.

PORNOGRAPHIE INFANTILE

Avant que je ne parle du monde du point de vue des ados, je dois commencer par expliquer pourquoi l’échange de sextos constitue un problème de légalité pour les startups et le secteur des technologies de façon plus générale. Pour ce faire, je me dois de parler de pornographie infantile. En premier lieu, comprenez bien que je suis en train de décrire l’état du monde en des termes très généraux. J’ai beau être chercheure invitée à Harvard, je ne suis pas pour autant une juriste. Du coup, si vous essayez de voir comment respecter la loi, soyez certains que vous parlez à quelqu’un qui peut vous conseiller en fonction de votre juridiction. En second lieu, et avant même que nous ne parlions de pornographie infantile, s’il vous plait, reconnaissez que tout sexto ne relève pas de la pornographie infantile, mais que les deux sont entrés en tension dans des termes très inconfortables.

La pornographie infantile, ce n’est pas une photographie de votre enfant dans une baignoire. Ce n’est pas une photographie de bambins courant nus sur la plage. D’ailleurs, à moins que ce ne soit votre job de trouver et combattre la pornographie infantile, vous n’avez probablement jamais vu le type de contenus auxquels ce terme est censé renvoyer. Et vous ne voulez vraiment pas, mais alors pas du tout, le savoir. La pornographie infantile, la terriblement nommée, est censée faire référence à la preuve photographique d’un crime contre un mineur. Nous parlons d’images d’enfants de 2 ans qui se font violer brutalement. Images d’horreurs qui vous rongent l’âme. Quand les lois contre la pornographie infantile ont été écrites dans les années 70, la plupart des gens ont tenté de décrire verbalement le contenu qui pouvait être trouvé dans de telles images partant du principe que “[ la pornographie] je la reconnais quand je la vois”(3) n’est jamais une bonne manière de rédiger un texte de loi. Mais cette description n’a fait qu’embrouiller un peu plus les gens. De façon générale, les lois contre la pornographie infantile désignent des images ou des vidéos qui incluent des contenus sexuellement explicites impliquant un mineur. Les peines pour avoir créé, possédé ou distribué de la pornographie infantile sont intentionnellement lourdes parce que les crimes auxquels elles renvoient sont particulièrement atroces. Toute personne sensée qui verrait les images que les lois sont supposées désigner voudrait en poursuivre les auteurs à la pleine mesure de ce qui est légalement permis. Malheureusement, alors que la plupart des gens n’ont jamais vu ces images, ils supposent à tort que les lois sur la pornographie infantile renvoient aussi aux images d’enfants nus.

Les lois contre la pornographie infantile menacent l’Internet, mais lorsque l’Internet est apparu, ceux qui étaient engagés dans ces crimes affreux ont eu vite fait de voir dans cette technologie un nouveau mécanisme de distribution. Juste au moment où l’Internet participait à la diffusion de toutes sortes de bons contenus, l’Internet permettait aussi la reproduction et la distribution de contenus terrifiants. Une fois de plus, les organismes juridiques de par le monde sont intervenus pour rendre criminelle la pornographie infantile et pour tenir pour responsable quiconque serait impliqué dans son commerce, incluant les FAI (Fournisseurs d’Accès à Internet) tels que Comcast [ndlt : équivalent américain de Orange ou Bouygues telecom], ou les fournisseurs de services en ligne tels que Facebook. Gardez à l’esprit que la pornographie infantile n’est pas non plus protégée par la liberté d’expression(4). Elle est censée renvoyer à des photos de scènes de crimes représentant l’agression d’un mineur ; ce n’est pas simplement de la pornographie impliquant un mineur. Du coup, les tribunaux américains ont conclu qu’elle ne pouvait pas être protégée par le premier amendement.

Bien qu’elles varient suivant les juridictions, les peines encourues par les sites et les entreprises du secteur technologique pour avoir sciemment hébergé de la pornographie infantile sont particulièrement « salées » [steep] dans la plupart des pays du monde. Nous parlons ici de dizaines de milliers de dollars par image par serveur et par jour. Il existe aussi une obligation de déclaration. Lorsque les entreprises américaines apprennent que des images de pornographie infantile sont hébergées sur leurs serveurs, elles sont tenues par la loi fédérale américaine à non seulement enlever les contenus offensants de tous leurs serveurs, mais aussi à signaler immédiatement tout incident connu aux autorités (habituellement le FBI par l’intermédiaire du Centre National pour les Enfants Disparus ou Exploités, le NCMEC)(5).  Les FAI et les fournisseurs de services en ligne [OSPs : Online Services Providers] sont encouragés à travailler directement avec le NCMEC par le biais de leur « relai pour les fournisseurs de services électroniques » [ESP liaison] pour combattre la pornographie infantile au sein des services qu’ils proposent. De nouveau, tout ceci est tout à fait raisonnable si vous conservez à l’esprit le type d’images dont nous sommes en train de parler. Les exclure des serveurs aussi vite que possible est primordial, entre autres parce que ce genre d’images fait en général l’objet de trafics clandestins, ce qui entraîne leur reproduction et leur redistribution très rapide par des criminels.

DU CHANGEMENT DANS LE PAYSAGE

Malencontreusement, les efforts de la justice à combattre la pornographie infantile n’avaient pas anticipé deux choses :

  1. l’émergence du web 2.0 et des contenus générés par les utilisateurs
  2. l’amusement des ados à s’échanger des sextos

Dans les premiers temps du web, à l’époque où les lois sur le signalement furent établies, les sites web contrôlaient plutôt bien leurs contenus. Il n’existait pas non plus tant d’entreprises qui hébergeaient des images et des vidéos. Et les sites qui permettaient aux internautes de partager des contenus étaient principalement privés. Il existait bien entendu des exceptions. Et des services tels qu’AOL et Tripod ainsi que les institutions derrière divers groupes de Usenet ont travaillé de manière assidue à combattre la pornographie infantile. Mais avec la baisse des coûts d’hébergement et l’arrivée du web 2.0, des médias sociaux et des contenus générés par les utilisateurs, les choses se sont vite compliquées. D’un coup, tous les sites web de monsieur et madame tout-le-monde devaient afficher un « avertissement légal » dont ils n’avaient jamais eu idée de l’existence, et, pour la plupart, n’en avaient entendu parler qu’une fois pris dans une situation critique. Il n’y a rien de plus décourageant que de la pornographie infantile pour une jeune PME de 2 personnes sans aucune ressource financière : parce qu’elles ne connaissent souvent pas le moindre avocat, celles-ci se retrouvent à copier-coller les « conditions générales d’utilisations » de leur site préféré [sans jamais pouvoir se préparer à d'éventuels problèmes]. Et même les investisseurs financiers tendent à n’avoir aucune idée précise des obligations légales concernant la pornographie infantile, sans parler des entrepreneurs enthousiastes et prêts à tout [ndlt : bright-eyed and bushy-tailed].

Pendant ce temps, les webcams prolifèrent, le coût des téléphones intégrant un appareil photo numérique diminue, et la popularité du partage de photos en ligne augmente. Et subitement, une myriade d’adolescents du monde entier ont commencé à se prendre en photos et à les poster sur Internet. Et la ligne entre ce qui est sexy et sexuellement explicite se brouille. Pour compliquer un peu l’affaire, ces technologies apparaissent à une époque où les adolescents se ruent sur des réseaux sociaux publics, apportant chacun des éléments du drame de l’adolescence dans les environnements numériques. C’est alors que le comportement de méchante fille se mêle à celui de « l’humiliation des salopes » [slut shaming]((L’humiliation des salopes » [slutshaming], est une pratique qui vise à donner honte publiquement à quelqu’un, le plus souvent une femme, pour avoir une vie sexuelle ou des désirs jugés trop fréquents, trop riches ou trop nombreux. C’est une pratique qui utilise donc une violence publique pour imposer un ordre sexuel déterminé)), le tout en utilisant des images aux contenus explicites.

Mettez tout cela ensemble et vous obtenez une bombe à retardement. Soudainement les procureurs déterminés à « donner une bonne leçon à ces gosses » ont commencé à poursuivre des adolescents pour avoir créé, possédé ou distribué de la « pornographie infantile d’eux-mêmes » [ndlt : child pornography of themselves]. La pratique ancestrale de « l’humiliation des salopes » a pris une toute nouvelle signification avec l’utilisation de photographies. Les écoles ont paniqué et ont juste suspendu tout le monde. Des enfants ont commencé à se suicider à cause du coût émotionnel des humiliations. Les sites web ont paniqué parce qu’ils ne pouvaient pas faire la différence entre quelqu’un âgé de 17 ans et quelqu’un âgé de 18 ans, sans parler d’identifier l’intention derrière le fait de poster une image en ligne. Les procureurs généraux trient sur le volet les entreprises auxquelles ils veulent s’en prendre. Et les médias d’information extraient les cas les plus flagrants et en font battage comme de la dernière folie adolescente. En bref, l’échange de sextos est devenu une catastrophe pour à peu près la totalité des gens concernés.

MAIS À QUOI PENSENT LES GAMINS ?

Maintenant, il est temps de parler des ados et de ce qu’ils font. La première chose à savoir, c’est qu’il n’y a rien de bien nouveau au fait que les ados prennent des photos explicites d’eux-mêmes. Je suis moi-même totalement coupable. En fouillant dans une boite de polaroïds que j’avais pris quand j’étais au lycée, je suis tombée sur une série de photos que j’avais prises après avoir lu un exemplaire de « nos corps, nous-mêmes » [ndlt :« Our bodies, Ourselves »]. Prendre une photo semblait une manière bien plus logique de représenter ce qu’il y avait « là, en bas » que de tenter d’obtenir l’angle adéquat avec un miroir. Dieu merci, ma mère n’avait aucune idée qu’elle hébergeait de la pornographie infantile produite par sa fille. En parlant avec des adultes de tous horizons sociaux, j’ai été surprise d’apprendre combien nombre d’entre eux avaient pris des photographies d’eux-mêmes étant adolescents, essayant de prendre des poses sexys ou sexuelles. Le polaroïd apparaissait régulièrement comme l’appareil de choix à partir du moment ou beaucoup d’entre eux avaient réalisé que de telles images n’étaient pas faites pour être amenées à développer au supermarché du coin. Bien sûr, je me souviens quand mon frère travaillait à Ritz Camera [ ndlt : chaîne de développeurs de photos située dans les centre commerciaux américains]… Il était régulièrement choqué par les images que les gens voulaient faire développer et je me souviens de lui ayant à signaler certaines de ces images à la police. Du coup, alors que la folie des sextos est certainement un phénomène lié à l’ère d’Internet, il est important de se rappeler que prendre de telles images n’est pas nouveau.

Ensuite, il faut se souvenir que la plupart des ados ne se sont jamais fait prendre pour leur participation à des échanges de sextos. Aussi, ce que vous lisez dans la presse n’est pas actuellement représentatif de ce que font les ados ou de pourquoi ils le font. La grande majorité des sextos est invisible pour quiconque. Alors que personne n’a de chiffres parfaits, Pew a révélé que 4% des adolescents âgés de 12 à 17 ans ont envoyé des images sexuellement suggestives ou bien des quasi-nus d’eux-mêmes à quelqu’un par sms pendant que 15% de la même cohorte d’âge les a reçus. Inutile d’ajouter que les ados les plus vieux sont plus susceptibles d’en avoir envoyés ou reçus. Ce n’est pas une pratique rare, mais ce n’est pas une pratique habituellement visible non plus. Et ce, parce que la vaste majorité des sextos s’échangent effectivement entre deux personnes qui entretiennent une relation. Et tandis qu’il y a de nombreuses histoires sur comment un amoureux lassé devient malveillant, la grande majorité des relations ne se terminent pas de façon aussi amère.

Troisièmement, il existe toute une palette de types d’images qui peuvent être conçues comme des sextos. Sans hésitation, on peut inclure les images impudiques prises des parties génitales ou la représentation photographique d’actes sexuels. Mais qu’en est-il des nus artistiques censés faire référence aux travaux des grands peintres et sculpteurs ? Qu’en est-il des photos de personnes légèrement vêtues dans le but de susciter l’excitation ? Qu’en est-il des photos de bikini ? Qu’en est-il des photographies de vestiaires où le sujet ne sait même pas qu’il est photographié ? La frontière est loin d’être facile à tracer. Elle n’est pas facile à tracer pour les parents, ni non plus pour les concepteurs de technologies. Ni non plus pour les juges.

Laissez moi maintenant passer à l’exposé de cas de « sexting » que j’ai croisés lors de mes recherches sur le terrain afin que vous puissiez mieux comprendre de quoi il en retourne.

HISTOIRE #1 : CHERCHER LA CÉLÉBRITÉ

En 2006, je m’attelais à l’interview de ma première adolescente dans le cadre de ma thèse. Traviesa était une jeune fille hispanique âgée de 15ans venant de Los Angeles et qui n’était pas particulièrement bonne à l’école. Nous avons ouvert son MySpace afin qu’elle puisse m’en faire faire la visite, et mon cœur a failli lacher. Sa page était couverte de photos d’elle certes assez artistiques mais surtout de photos sexuellement explicites ou de quasi-nus. J’ai tenté de garder mon calme, parce qu’il était évident que Traviesa était parfaitement à l’aise avec le fait de me montrer sa page web. J’ai commencé à balbutier alors que je commençais à l’interroger sur ces images et elle s’est mise à me regarder d’un air étrange. Elle m’expliqua qu’elle voulait devenir mannequin et qu’elle travaillait dur pour percer dans ce milieu ; elle pensait qu’elle pourrait être repérée sur MySpace, exactement comme Tila Tequila.

À l’époque, Tila Tequila était un mannequin âgé de 25 ans auquel on faisait parfois référence dans les medias comme « la reine de MySpace ». Même si elle avait d’abord été découverte par Playboy à l’âge de 18 ans, elle n’avait pas vraiment réussi à lancer sa carrière de mannequin, jusqu’à ce qu’elle soit en mesure d’attirer l’attention par l’usage de MySpace, d’en faire un levier pour relancer sa carrière de mannequin et accessoirement d’obtenir un reality show sur MTV.

Traviesa croyait qu’elle-même deviendrait aussi célèbre si elle s’exposait sur le web. Toujours bredouillante, je lui ai bêtement demandé si elle ne pensait pas que de telles images pouvait réduire ses chances d’être prise à la fac. Elle me rit au nez, m’expliquant de façon poignante qu’il n’y avait de toute façon aucune chance qu’elle aille un jour à la fac. De son point de vue, la célébrité était le seul chemin pour une ascension sociale.

À ma connaissance, Traviesa n’a jamais eu de problème avec ses photographies, mais elle n’a pas trouvé la célébrité non plus. Ses images seraient sans aucun doute considérées comme de la « pornographie infantile » au vue de leur caractère sexuel. D’ailleurs, c’est précisément ce qu’elles sont… Elles sont des images pornographiques d’une enfant, créées par une enfant pour répéter l’imagerie typique de la pornographie adulte. Et elles sont les réponses de Traviesa à une société saturée de sexe, et à une série de messages lui disant que le seul moyen par lequel elle est susceptible de réussir dans ce monde consiste à utiliser son corps pour attirer l’attention.

On pourrait trouver l’histoire de Traviesa horrible, mais n’oublions pas que nous vivons dans une société qui se nourrit des drames des célébrités. Nous continuons à donner du temps d’antenne à Paris Hilton, même depuis qu’elle a fait « fuiter » une vidéo pornographique d’elle-même. Le sexe fait vendre dans une économie de l’attention, et les adolescents veulent aussi participer à cette économie. Et ils ne comprennent pas pourquoi ils devraient en être privés alors qu’ils en voient tout autour d’eux.

HISTOIRE #2 : EXPRESSIONS DE LA SEXUALITÉ

En 2009, j’ai été invitée à parler avec un groupe de jeunes femmes au sujet de la sécurité en ligne. Les organisateurs de l’évènement voulaient que j’ai une conversation franche avec ces filles à propos de ce qu’elles faisaient en ligne et des conséquences possibles de leurs actes. Durant cette discussion collective, le sujet des sextos est apparu. Une fille expliqua qu’elle pensait qu’il était mal d’envoyer des photos un peu salopes, mais une autre l’a immédiatement contredite, en expliquant que le meilleur moyen « d’attraper un homme » était de lui envoyer des photos, afin de le tenter. La conversation s’est emballée alors que les différentes filles comparaient leurs avis, certaines exprimant leur dégoût, d’autres échangeant des techniques pour obtenir le bon angle de prise de vue. J’ai demandé combien d’entre elles avait déjà envoyé une photo sexy et la moitié d’entre elles a levé la main. Une distinction s’est alors faite sentir. Certaines pensaient qu’envoyer des images était approprié comme mécanisme de séduction, pendant que d’autres pensaient que c’était uniquement approprié aux échanges au sein d’une relation conjugale.

Les positions de ce groupe d’ados trouvèrent écho lors d’un focus-group que le New-York Times organisa en 2011. Kathy, l’une des ados que Times avait interviewés, expliquait : « À mon école, si tu aimes un garçon et que tu veux qu’il te remarque, tu sais ce qu’il te restes à faire ». Cela ressemble aux vieilles histoires de pressions par les pairs, mais avec un rebondissement. Parce que Kathy montre aussi « qu’il existe un côté positif dans le fait d’envoyer des sextos. Tu ne peux pas tomber enceinte, et on ne transmet pas de MST. C’est une sorte de safe sex ». Le raisonnement de Kathy est parfaitement logique, particulièrement une fois que l’on réalise que les lois sur « l’âge de consentement » dans différentes parties du pays autorisent les ados à avoir légalement des relations sexuelles aux âges de 15 ou 16 ans (même si certains ados commencent à avoir des relations sexuelles avant cet âge légal). Les adolescents sont absolument sidérés d’apprendre qu’il est légal pour eux d’avoir des rapports sexuels mais pas de prendre des photos d’eux nus. De leur point de vue, cela n’a aucun sens. Parce que, de leur point de vue toujours, les conséquences d’un rapport sexuel sont largement plus importantes que les conséquences qu’ils s’imaginent à avoir posté une image de nu. Peu d’entre eux savent qu’ils peuvent être poursuivis pour pornographie infantile et être enregistrés de force comme délinquants sexuels.

Les filles dans la salle de Boston n’étaient pas timides et quel que soit le degré d’embarras dans lequel elles se trouvaient, celui-ci était masqué par l’atmosphère effective de confidence. Elles argumentaient au fur-et-à-mesure et l’échange de sextos y devenait simplement une pratique supplémentaire dans une longue liste de pratiques destinées à signaler qu’elles étaient des jeunes filles cool et sexy. Alors que leur manière de se présenter était étouffée [muted] par les règles vestimentaires de l’école, il était assez clair, au regard de leur maquillage, de leur parfum et de leurs chevelures pomponnées, que la mode était une autre manière d’afficher fièrement leur sexualité. Elles voyaient leur environnement numérique comme un espace dans lequel aller plus loin, sans avoir à s’inquiéter de la capacité des adultes à venir jouer les voyeurs.

Quand j’ai interrogé les filles sur comment elles se sentiraient si ces images étaient diffusées, la plupart haussèrent les épaules. L’une d’entre-elles me dit qu’elle se moquait que d’autres garçons la voient parce qu’elle n’en serait alors que plus crédible [get more « cred »].Je lui ai alors demandé comment elle se sentirait si des enseignants trouvaient ses photos et elle me regarda avec horreur. Une autre expliqua que même si un garçon était cruel et les partageait avec d’autres garçons, il ne les partagerait jamais avec des enseignants. Dans leur optique, les sextos n’étaient pas un problème aussi longtemps qu’ils étaient « contenus » [ndlt : à l'intérieur d'un cercle adolescent] et que tout le monde attendait qu’ils soient contenus.

HISTOIRE #3 : DIFFUSION VIRALE

Alors que la plupart des histoires que j’ai entendues à propos des sextos de la part des ados étaient personnelles et intimes, dans chacune des écoles que j’ai visitées les ados pouvaient invariablement raconter l’histoire d’un « incident » de sextos ayant eu lieu dans leur école ou une école voisine et où les choses s’étaient terriblement mal passées. Un incident qui impliquait des gens qu’ils connaissaient réellement (ce qui, pour le coup, est assez différent des histoires de prédation où les ados font typiquement référence à Dateline [émission de la chaîne NBC sur des faits divers réels] ou bien des films destinés à la diffusion TV). Ils devenaient alors rapidement schématiques. Schéma #1 : un garçon et une fille sortent ensemble, des images sont partagées. Le garçon et la fille rompent. L’amoureux-se éconduit-e humilie l’autre en diffusant les images. Schéma #2 : la fille aime beaucoup le garçon, elle lui envoie des images sexy. Il répond en les partageant, et en l’humiliant, elle. Ou bien, l’inverse, ce qui est intéressant, avec la fille qui humilie le garçon qui l’aime bien. Car, à la surprise générale, les garçons ados partagent tout autant des photos de nus que les filles.

Ce que j’ai trouvé en discutant avec les ados, c’est que les garçons partageront des images de filles avec d’autres garçons ; les filles partageront les images avec d’autres filles ; et que les filles partageront aussi des images de filles avec d’autres filles. Mais les garçons ne partageront jamais d’images de garçons avec d’autres garçons de peur d’être perçus comme gays. Nous vivons dans une société homophobe, au-delà de ce que Glee [une série TV] tente de transmettre. C’est habituellement les images de filles qui se diffusent le plus loin et le plus vite. Alors que la diffusion virale des sextos implique des technologies, elle a cours, en premier lieu, parmi les pairs. Ce n’est qu’occasionnellement qu’elle peut fuiter jusqu’au monde des adultes. Et quand ça arrive, c’est là que les choses deviennent complètement désastreuses.

Dans un quartier très huppé, plusieurs filles que j’ai interviewées racontaient l’histoire de Jade, une fille qui était à la même école qu’elles, mais qui avait, depuis, obtenu son diplôme. Jade était la fille du proviseur d’une école privée prestigieuse [elite private school]. Un jour, la mère de Jade reçu un email de la part d’un ancien étudiant [alumnus] lui indiquant un site pornographique sur lequel il était « accidentellement » tombé. Il y avait une vidéo de Jade se masturbant. Apparemment, Jade avait discuté en vidéo avec un garçon. Elle savait qu’il la regardait quand elle se masturbait, mais elle ne savait pas qu’il enregistrait ses gestes, encore moins qu’il téléverserait ensuite la vidéo sur un site pornographique. Inutile de dire que cet incident a causé un tollé massif dans ce riche quartier.

À la différence de Traviesa et des filles de Boston, Jade n’avait aucune idée que ses gestes sexuels étaient enregistrés, elle n’avait pas idée que ce qui se tramait pourrait faire l’objet d’un examen juridique. Heureusement pour elle, la totalité de l’incident a réussi à rester hors du regard du procureur local. Jade a sûrement reçu sa part d’humiliations par ses pairs, mais au final, ce ne fut pas l’aspect le plus dommageable de la situation. Vous voyez… Alors que Jade encaissait l’humiliation, sa mère la vira de chez elle et lui coupa les vivres, car elle avait 18ans au moment où la vidéo a fuité. Comme beaucoup d’ados dont les sextos deviennent visibles au grand jour, la réaction des parents de Jade fut plus violente que l’embarras causé par la vidéo elle-même. Bien sûr, ce n’est pas nouveau, les parents expulsent régulièrement leurs enfants de chez eux quand elles tombent enceintes. Mais il est intéressant que les sextos soient désormais considérés à égalité avec une grossesse en terme de réactions parentales.

FAIRE LE POINT SUR LA SITUATION

Chacune de ces 3 histoires raconte un aspect différent de l’échange de sextos, révélant un peu du désordre que nous devons considérer lorsque nous nous penchons sur ces pratiques. Étant données les différentes pratiques qu’impliquent les sextos, il y a 5 questions de fond que nous devons tous nous poser si l’on tient à réfléchir à ce phénomène de ’sexting’.

  1. Quel âge ont les différentes personnes impliquées ? Nous devons considérer autant le sujet de l’image, l’expéditeur que le récepteur.
  2. En quoi les contenus partagés sont-ils explicites sexuellement ? Parlons-nous de photos en bikini, ou bien parlons-nous de la représentation d’actes sexuels ?
  3. Quelle est l’intention derrière la création de l’image ? Parlons-nous d’autoportraits, d’images créées sous la contrainte, ou bien d’images créées par méconnaissance totale de la question ?
  4. Quelle est l’intention derrière le fait de partager l’image ? Est-elle partagée dans le cadre d’une relation sexuelle privée ou d’un flirt ? Ou bien est-elle partagée dans le but d’humilier et de déshonorer [shame] quelqu’un ? Ou bien est-elle partagée dans le but d’un quelconque profit personnel ?
  5. Comment se sent-on lorsque l’on reçoit ces images ? Est-ce que celui qui les reçoit est ravi de les recevoir, ou bien sont-elles reçues comme une forme de harcèlement ?

Ce que vous devriez avoir vite compris, c’est qu’AUCUNE de ces 5 questions ne peut aisément trouver une réponse par le biais d’un algorithme informatique. Ce sont des questions difficiles, et dans le meilleur des cas, seulement deux d’entre elles peuvent trouver réponse chez un agent des forces de l’ordre qui serait spécifiquement entraîné à ce type de problèmes. En plus, la compétence de ce type d’agents à deviner l’âge ou catégoriser la nature sexuellement explicite de ces images est dans le meilleur des cas assez incertaine. Parce que la plupart des questions que nous voulons vraiment poser portent sur des intentions et des sentiments. Parce que si nous regardons juste les images, nous ne savons rien des histoires qu’elles recouvrent.

C’est là que nous avons un problème majeur. L’industrie des technologies se trouve coincée entre le marteau et l’enclume, et sans aucune manière claire de s’en sortir. La plupart des entreprises utilisent leurs « conditions d’utilisation » pour exclure la nudité, celles-ci leurs donnant alors le droit d’effacer toutes les images pornographiques. Ceci indigne les défenseurs de la liberté d’expression qui pointent justement que la pornographie adulte relève de la liberté d’expression. Ceci agace les défenseurs de l’allaitement qui pointent justement que le sein nu d’une femme n’est pas pornographique. Et puis vous avez les artistes, les historiens de l’art, les nudistes, les anthropologues et une foule d’autres intervenants qui peuvent tous évoquer des images acceptables où la nudité n’est pas un problème. C’est sans mentionner les imbroglios culturels lorsque bronzer seins nus est casher dans certaines cultures alors que montrer les épaules est pornographique dans d’autres cultures. Mais même si une entreprise exclut toute nudité, cela ne la protège pas nécessairement contre les problèmes de pornographie infantile. La nudité n’est pas un élément systématique de la pornographie infantile. Un acte sexuel impliquant un enfant, même si vous ne voyez aucun organe génital, reste de la pornographie infantile.

Même si une entreprise nettoie largement tout ce qui peut être conçu comme pornographique ou obscène, au-delà même de la question de l’âge des gens sur les images, elle se trouve face à un nouveau problème, parce qu’elle est tenue par la loi de signaler chaque image incluant des mineurs. Et comment décide-t-on si quelqu’un a 17 ans ou 18ans ? Comment sait-on ce qui doit être signalé et ce qui ne doit pas l’être ?

Alors que le signalement semble être une bonne chose pour les entreprises spécialisées dans les technologies, cela n’aide pas forcément le Centre pour les Enfants Disparus ou Exploités (NCMEC) d’être assailli d’images d’ados posant sur leurs sextos. Le NCMEC est un admirable exemple d’organisation à but non lucratif travaillant avec diligence à faire du monde un meilleur endroit. Mais ils ne sont pas équipés pour traiter des tombereaux d’images d’ados de 17 ans jouant aux imbéciles. Ils ont des ressources limitées et ce serait bien qu’ils restent concentrés à résoudre le problème des enfants de 2 ans qui se font violer. Du coup, avoir des entreprises qui leur envoient chaque image de sexto qu’elles trouvent ne les aide pas même si c’est la réaction correcte à avoir selon la loi. Évidemment, quelle entreprise voudrait prendre la responsabilité légale de déterminer si quelque chose est un sexto ou la photo d’une scène de crime ?

MON MANQUE DE RÉPONSES

Pour les 20 dernières minutes, j’ai consciencieusement mis le bazar dans vos cerveaux. Et c’est le moment de la conférence où je suis censée vous offrir des arcs-en-ciel, des chatons, et des licornes et démêler enfin le fouillis que j’ai tricoté pour vous apporter des réponses précises sur la manière de procéder. Mais je ne le peux pas. Pas parce que je ne le voudrais pas, mais parce qu’il n’existe pas de réponses claires. On pourrait comparer les sextos à un accident ferroviaire où le train des normes et du politique serait entré en collision avec le train de l’industrie des technologies de la façon la plus gênante possible. Et pas parce que l’industrie des technologies tente de mal se comporter mais parce que personne ne possède la solution parfaite.

Par chance, du côté des ados, les courants semblent s’inverser. Nombre d’états ont commencé à promulguer des « lois sur le sexting » pour offrir aux juges une marge de manœuvre dans la façon qu’ils ont de s’occuper des ados poursuivis en fonction des lois sur la pornographie infantile. Parce que personne ne gagne quand un procureur sans scrupules décide qu’il va « donner une bonne leçon à ces gamins » en les accusant d’avoir enfreint les lois sur la pornographie infantile. Non seulement ça ruine la vie des ados, mais, avant tout, ça dévalue les lois sur la pornographie infantile. C’est d’autant plus important quand on se penche sur les « listes d’enregistrement des délinquants sexuels ». Bien que la plupart des parents pensent que seuls les plus hideux criminels sont enregistrés comme délinquants sexuels, tout adolescent qui passe en médiation avec une accusation de pornographie infantile figure désormais sur ces listes. Les lois commencent à changer. Pas assez vite pour aider les ados, mais ça commence à changer. Et dieu merci.

Malheureusement, l’histoire ne se passe pas aussi bien du côté du secteur technologique. Nous n’avons pas de lois claires qui nous fourniraient un ensemble de pratiques standard sur la manière de procéder, surtout pour les toutes petites PME qui essaient juste d’innover. Tous les gros acteurs brillent non seulement par leur respect des lois mais aussi en travaillant directement avec le FBI pour combattre cet horrible problème. Nombre d’acteurs plus petits préféreraient faire l’autruche, priant pour n’avoir jamais à faire à ce cauchemar. Mais cela ne résoudra jamais rien. Quand elles réalisent qu’elles doivent y faire face, les PME tentent d’inventer de nouveaux moyens de contrôle opérationnels. Pendant que nous faisons du bon boulot en créant des technologies interopérables ou en collaborant avec tout le secteur pour créer des standards, nous faisons un travail affreux d’ouverture à propos des « meilleures pratiques » des services-clients. Et nous faisons un encore plus mauvais travail d’innovation autour de problèmes comme celui-ci. Peu d’entrepreneurs désirent entendre parler de la face sombre et trouble des Contenus Générés par les Utilisateurs. Je me rends compte que peu de gens s’épanouissent à s’occuper de choses moroses ou sinistres, mais il est grand temps que les esprits les plus novateurs de cette industrie commencent à s’atteler à ces problèmes difficiles. Parce que même si les gens ne veulent pas le faire pour des raisons altruistes, il y a beaucoup d’argent à se faire en trouvant des solutions à ces questions délicates qui tourmentent le secteur entier.

Je travaille dur pour comprendre toutes les nuances de l’échange de sextos, et je promets de faire tout ce qui est en mon pouvoir pour partager avec vous ce que j’aurais appris aussi vite que possible. Mais j’ai une faveur à demander à trois groupes différents dans cette salle :

  1. Est-ce que les gens des services-clients ici présents qui doivent affronter ces problèmes au quotidien dans leur travail pourraient prendre un temps de recul, et recommencer à réfléchir, mais au niveau de l’ensemble du secteur cette fois. Créez des collaborations à un niveau impliquant l’ensemble de l’industrie ou l’ensemble des PME innovantes pour développer les meilleures réponses et agir dans tout ce désordre. Impliquez le public -et la très large communauté des utilisateurs- pour trouver des solutions à ces questions. Dans le monde des technologies nous parlons souvent de la valeur de la transparence, mais lorsqu’il s’agit des modes de fonctionnement et de gestion de nos propres entreprises, nous sommes incapables de mettre en pratique ce que nous prêchons par ailleurs. Quand il s’agit de trouver des solutions politiques abordant les différentes nuances dans l’échange de sextos, il n’y a aucun avantage social à se trouver isolé ni à adopter un comportement d’insulaire. C’est pourquoi j’adorerais que quelqu’un prenne un rôle de leader en travaillant avec les entreprises à développer une stratégie pour prendre en charge les problèmes techniques et sociaux autour de l’échange de sextos.
  2. En plus des pratiques les meilleures, nous devons travailler à établir les meilleures politiques pour être certains que nous sommes tous concentrés à nous débarrasser de la pornographie infantile sans pour autant écraser le NCMEC avec les sextos. La loi ne va pas changer comme par magie, et ne devrait pas être ignorée pour autant ; nous devons donc nous secouer les méninges et réfléchir quels types de politiques pourraient faire sens. La réponse n’est pas à l’auto-régulation parce que nous avons besoin d’une infrastructure solide pour combattre la pornographie infantile. Mais nous avons besoin de solutions qui nous aident à régler tous les cas-limites afin que nous puissions faire les bons choix. Et afin que les nouvelles entreprises puissent aussi suivre la loi sans avoir à patauger dans toute cette confusion.
  3. Le secteur industriel des technologies est en plein essor et les fonds issus du capital-risque coulent à flots. Il doit bien y avoir un entrepreneur inventif dans le coin qui veut s’atteler aux problèmes complexes qu’ont amenés les échanges de sextos. Les entreprises ont besoin d’être guidées pour naviguer dans ces eaux troubles, mais elles ont aussi besoin d’outils. Comme je l’ai dit plus tôt, il n’existe pas de réponse algorithmique et ces problèmes sont très difficiles à résoudre. Mais cette salle est pleine de personnes vraiment brillantes qui adorent s’affronter à des problèmes vraiment durs. Du coup, je supplie tous les ingénieurs créatifs qui désirent vraiment travailler à faire la différence de venir aider à trouver une manière de fournir aux entreprises des outils qui vont permettre de gérer cela concrètement.

Pour vous donner un exemple de la manière dont cela pourrait marcher, je voudrais souligner le projet « PhotoDNA » [ADN photographique] que Microsoft a construit avec Hany Farid du Darmouth College ; cet outil a été offert au NCMEC pour lutter contre la pornographie infantile. Parce que le NCMEC possède une base de données de photographies insignes, cet outil peut être utilisé par des entreprises comme Microsoft ou Facebook pour identifier des images qui sont presque assurément des répliques exactes ou des versions modifiées de l’une des plus effroyables images connues de pornographie infantile. C’est vraiment un formidable bout de technologie qui aide réellement le NCMEC à mieux faire son job. Et si ça n’arrête pas la pornographie infantile, ça met un frein sérieux à sa diffusion. C’est ce qui arrive quand des esprits brillants tentent de s’attacher à un problème sérieux.

J’ai confiance dans le fait que, avec le temps et en poussant un peu les gens, les lois du pays arrêteront de servir à poursuivre des adolescents pour leur stupidité puérile. Mais je suis tout aussi confiante dans le fait que les ados, les adultes et les politiciens continueront de bêtement mettre en ligne des contenus d’eux-mêmes pour le moins problématiques. En fait, peu importe à quel point nous éduquerons la population, ou combien de politiciens devront présenter publiquement leurs excuses, je m’attends à ce que, chaque année, il y ait plus de contenus imbéciles produits que l’année précédente. Et à ce que la société se détende un peu face aux erreurs que commettent les gens.

Mais chaque entreprise du secteur technologique sera au bord de la crise de nerfs si nous n’arrivons pas ensemble à concevoir des normes et des technologies qui nous permettent d’assurer face à l’augmentation massive des Contenus Générés par les Utilisateurs. Franchement, nous n’avons fait pour l’instant qu’apercevoir le sommet de l’iceberg. Le cloud, comme l’informatique mobile, sont tous deux sur le point de rendre les Contenus Générés par les Utilisateurs encore plus désordonnés. Je vous implore de m’aider à comprendre ce puzzle aussi tôt que possible. Et si vous ne voulez pas le faire pour moi, faites-le pour les adorables équipes de vos services-clients qui pourraient utiliser vos innovations. Et si vous ne voulez pas le faire pour elles, faites-le pour vos enfants, vos neveux, vos cousins, ou bien n’importe quels autres jeunes gens que vous connaissez qui pourraient accidentellement se faire embarquer là-dedans juste parce qu’ils sont en train d’explorer leur sexualité.

Merci !

Lectures conseillées :

  1. Les termes « Sextos » et « sexting » sont composés à partir de « sex » et « text », qui évoquent, une fois articulés l’un à l’autre, le fait d’utiliser les systèmes de communication numériques (téléphones mobiles ou ordinateurs) dans un contexte sexuel. L’américain ne joue pas exactement de la même façon que le français à placer les actions et les objets de ces actions le long d’un discours. Ainsi, il aurait été relativement lourd de traduire « sexting » à chaque fois que d. boyd l’emploie par « l’action d’envoyer des sextos » ou bien « le fait d’échanger des sextos ». Pourtant, c’est bien de « sexting », c’est-à-dire d’une action aussi courte que le mot qui la désigne, et tout aussi simple à opérer, que d. boyd a pris le parti de parler. Dans la traduction, j’ai choisi le plus souvent de transformer les tournures verbales anglophones utilisant « sexting » en tournures substantives francophones construites autour des objets mêmes du sexting que sont les « sextos ». De cette manière j’ai tenté de conserver dans le style le caractère souvent court et vivace de l’expression orale de d. boyd – quitte à perdre dans l’épaisseur de la signification – la facilité du geste et le décalage démesuré de ses conséquences []
  2. Weiner Anthony (http://fr.wikipedia.org/wiki/Anthony_Weiner) : db. fait référence plusieurs fois aux erreurs commises par certains hommes politiques laissant « échapper » certaines informations ou photographies sur leurs pratiques et relations sexuelles. Le député démocrate A. Weiner fut au centre d’un événement de ce type après avoir malencontreusement rendu public sur twitter des photos pornographiques de lui-même destinées à sa maîtresse []
  3. La pornographie, je la reconnais quand je la vois : phrase écrite en 1964 par le juge Potter Stewart au sujet de la pornographie hardcore qu’il s’agissait d’identifier dans un film en cours d’évaluation légale. Cette phrase restera célèbre à la fois parce qu’elle indique bien malgré elle le caractère complexe des enjeux moraux, discursifs et juridiques des questions concernant la représentation de la sexualité, et à la fois parce qu’elle fait preuve d’une candeur juridique pourtant indépassable en l’état actuel des choses. http://en.wikipedia.org/wiki/I_know_it_when_I_see_it []
  4. Le 1er amendement de la constitution américaine « Bill of Rights » signé en 1791, détermine, entre autres, certains enjeux liés à la liberté d’expression et aux conditions requises pour la défendre ou la limiter. L’un des articles a trait à l’obscénité cf. 5.5 dans la page http://fr.wikipedia.org/wiki/Premier_amendement_de_la_Constitution_des_États-Unis#Obsc.C3.A9nit.C3.A9 []
  5. Le NCMEC est une organisation à but non-lucratif travaillant en étroite collaboration avec les autorités fédérales à retrouver ou sauver des enfants en danger cf. http://en.wikipedia.org/wiki/National_Center_for_Missing_and_Exploited_Children []

Citation: boyd, danah. 2011. “Teen Sexting and Its Impact on the Tech Industry.” Read Write Web 2WAY Conference.New York, NY, June 13.

Non, il n'y a pas d'erreur typographique dans "danah boyd";  elle s'explique:  "In college, i changed my last name to "boyd" to honor my grandfather. When doing the legal paperwork, i switched back to a lower-cased style to reflect my mother's original balancing and to satisfy my own political irritation at the importance of capitalization."

--------------

* Voici l'article 383 bis, ajouté au code pénal par la loi de 1995 et modifié par la loi du 28 novembre 2000 (puis par la loi du 30 novembre 2011)

 § 1er. Sans préjudice de l'application des articles 379 et 380, quiconque aura exposé, vendu, loué, distribué ou remis des emblèmes, objets, films, photos, diapositives ou autres supports visuels qui représentent des positions ou des actes sexuels à caractère pornographique, impliquant ou présentant des mineurs ou les aura, en vue du commerce ou de la distribution, fabriqués ou détenus, importés ou fait importer, remis à un agent de transport ou de distribution, sera puni de la réclusion de cinq à dix ans et d'une amende de cinq cents francs à dix mille francs

.
§ 2. Quiconque aura sciemment possédé les emblèmes, objets, films, photos, diapositives ou autres supports visuels visés sous le § 1er ou y aura, en connaissance de cause, accédé par un système informatique ou par tout moyen technologique, sera puni d'un emprisonnement d'un mois à un an et d'une amende de cent francs à mille francs.

 § 3. L'infraction visée sous le § 1er, sera punie de la réclusion de dix ans à quinze ans et d'une amende de cinq cents francs à cinquante mille francs, si elle constitue un acte de participation à l'activité principale ou accessoire d'une association, et ce, que le coupable ait ou non la qualité de dirigeant. 

§ 4. La confiscation spéciale prévue à l'article 42, 1°, peut être appliquée à l'égard des infractions visées aux § 1er et 2, même lorsque la propriété des choses sur lesquelles elle porte n'appartient pas au condamné. 

§ 5. Les articles 382 et 389 sont applicables aux infractions visées aux § 1er et 3. »

 

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