Un texte paru initialement dans La Libre
Sous la pression de la Cour de justice européenne, mais sans qu’une quelconque urgence n’y pousse, le Parlement fédéral a mis à égalité père et mère dans leur droit de donner leur nom à un enfant : on pourra désormais choisir. Comme souvent, cette nouvelle liberté a un arrière-goût anxiogène : elle réveille la possibilité du rapport de force, et donc l’angoisse de l’éviter. Les femmes qui ne transmettront que le nom du père à leur enfant pourront se reprocher d’avoir été faibles devant leurs sœurs, et les hommes dont le nom aura disparu de leur progéniture pourront se voir voués aux gémonies machistes que l’on destine aux petits garçons choisissant la danse classique.
Certes, la réforme n’est pas fondamentale au regard des autres enjeux d’inégalité entre hommes et femmes. Et pourtant, on sent que quelque chose ne "passe" pas - qui n’est pas nécessairement un relent de conservatisme. Au fond, s’agit-il ici bien d’égalité ? Si on transmet le nom du père à l’enfant, est-ce vraiment par machisme patriarcal millénaire, par nécessité de prouver la filiation ?
Posons une hypothèse alternative. Cette transmission avait plutôt pour fonction de compenser une inégalité naturelle et impossible à résorber : celle qui permet aux femmes d’enfanter. Les civilisations humaines ont inventé la transmission du nom du père pour que ceux-ci disposent d’un lien avec l’enfant qui compense son absence naturelle dans la grossesse et l’enfantement. Un antidote anti-lâcheté en prime : l’homme sera tenté de refuser ses responsabilités vis-à-vis d’un enfant qui ne porterait que le nom de sa mère ; il ne pourra le faire devant un enfant portant son nom.
Du verbiage sans importance ? Voire. Car si tout ceci n’est que du nom et que du symbole, c’est avec le nom qu’on crée, qu’on reconnaît, qu’on fait exister.
La marche vers l’égalité est un mouvement puissant, auquel l’humanité doit des progrès inestimables, et qui possède une redoutable légitimité a priori dans tous les sujets. Pourtant, l’égalité est-elle toujours le logiciel adéquat ? L’égalité suppose une identité ou une équivalence entre deux termes. Or, que voulons-nous ? Etre tous égaux en droits ou devenir tous interchangeables ? Et si ces deux alternatives sont différentes, qu’est-ce qui les sépare ? L’idéologie égalitaire ambiante suggère que les parents disposent exactement des mêmes droits vis-à-vis de l’enfant à la seconde où il naît, depuis la longueur du congé de paternité jusqu’à la transmission du nom. Cette vision considère que l’égalité est une forme d’interchangeabilité des termes, au prix de la minimisation puis de la disparition de toute différence. Parents égaux en droits ? Sans aucun doute. Identiques dans le symbole, dans ce qu’ils peuvent apporter à l’enfant ? Franchement, je ne sais. Nous ne voyons aujourd’hui plus guère de problème, par exemple, à ce que des couples homosexuels engendrent et élèvent un enfant, parce que nous savons que l’amour transcende largement les rôles symboliques. Cela empêche-t-il de penser que la transmission du nom du père constituait en soi une égalité symbolique entre l’homme qui offre son nom et la femme qui offre la vie ?
Nous, humains, avons le droit de nous émanciper de ces préceptes et de les déclarer désuets ; la nature n’est du côté de personne et l’homme est un animal culturel qui a le pouvoir de modeler le réel selon ses normes. Cela n’empêche de jeter un œil nostalgique envers ce que nous abandonnons, fût-ce au nom du progrès ou de la Cour de justice. Cette énième polémique du genre invite à poser la question : notre malaise contemporain sur l’égalité ne réside-t-il pas dans un écart irréductible entre l’égalité des droits et l’interchangeabilité des êtres ? "Tous égaux, tous différents", nous dit l’esprit du temps. Sans n’y voir nulle contradiction.
Philosophe, François De Smet est également directeur d'une AMO