[Extrait de livre] Adolescence et ennui

..."Nos adolescents sont de vieux bébés nés au XXIe siècle. Des bébés de la consommation, et même de la saturation. Ils veulent s’affranchir de ces liens qui, loin de les libérer, les enferment. Ce sont des bébés qui ont vécu dans une société infantilisée, refusant la frustration et le manque, se livrant de plus en plus à sa pulsionnalité.

Ce sont des bébés qui, durant leur enfance, ont vécu des collages précoces et durables. Il me paraît très important d’insister sur ce point pour redonner aux adolescents leur dignité. Pour en finir avec ces attaques permanentes contre leurs excès et leur délinquance. Prenons l’exemple de leur comportement vis-à-vis de la boisson. Les adolescents n’ont aucune raison de boire plus qu’autrefois… à moins qu’ils ne cherchent à répondre à un besoin de mettre à la bouche, de suçoter sans cesse quelque chose, comme le biberon qui pendouillait à leur doudou d’enfant et qui leur était proposé dès qu’ils émettaient le moindre son annonciateur de pleurnicherie. Nous ne voulons plus entendre chez eux les bruits de l’enfance, ni leurs exigences, et encore moins leur immaturité.

Parlons un peu de leur mal-être et comprenons qu’ils nous crient quelque chose que nous ne voulons pas entendre. Rappelons qu’ils ont été collés à leur mère toute leur enfance, puis collés aux objets, selon le modèle que nous propose notre société de consommation, qui refuse d’inscrire le manque dans le destin de l’enfant. Et ces enfants privés d’espace pour grandir – entendez, privés de l’écart comme ingrédient indispensable de la croissance – finissent le plus souvent, non pas par se séparer, mais par s’arracher. « J’m’arrache », disent-ils d’ailleurs, se propulsant « hors » la mère. Excessifs, boulimiques de liberté et d’indépendance, ils s’élancent à corps perdu dans un « tout-vouloir », un « tout-pouvoir » qui, loin de les rendre libres, les enferment dans l’addiction du « plein ». Ils passent de la mère à des « objets-mère », des objets qui les nourrissent à l’infini, qui se consomment comme la mère livrée à elle-même les a consommés (écrans, alcool, tabac, jeux, achats…). J’en appelle donc à une prise de conscience pour relever ce défi sanitaire. La morale prenant vite le pas quand on cherche à expliquer des phénomènes psychiques, mieux vaut le redire : aucune faute n’est à mettre sur le dos des mères. C’est la position parentale portée par notre pensée collective qui est à questionner si nous voulons ouvrir le difficile débat autour des besoins fondamentaux des enfants pour grandir. Cette part de nous-mêmes, adultes refusant les exigences de l’enfance et de l’adolescence, est un problème à prendre dès à présent à bras-le-corps. "...

in "Les trésors de l'ennui" de Sophie Marinopoulos - p.49-50

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