[Texte] Adolescence et confinement - Contribution d’Emmanuel Thill

Situation particulière depuis quelques semaines, le confinement en famille renvoie les parents et l’adolescent à une expérience inédite : vivre sous le même toit presque 24 heures sur 24, se supporter (dans tous les sens du terme), gérer l’anxiété inhérente à la gravité de cette pandémie et construire un vivre-ensemble créatif et suffisamment épanouissant.

Des tensions intra-familiales peuvent se réveiller, se renforcer, voir même ébranler l’équilibre relationnel de certaines familles. Ce phénomène est d’autant plus important qu’il entre en résonance avec des fragilités déjà présentes chez certains adolescents ou chez certains parents

Le processus adolescentaire est mis à l’épreuve, notamment dans de nouveaux équilibres à trouver entre espaces d’intimité et moments vécus ensemble en famille, entre respect des règles du vivre-ensemble et désir de liberté, d’horizon ouvert, d’expériences nouvelles...

Des parents nous interpellent en raison de manifestations agressives de leur adolescent à la maison. Les formes de cette agressivité en sont très variées : simple mouvement d’humeur et de colère, explosions face aux limites imposées par les parents ou par la situation de confinement, transgressions franches des règles du vivre-ensemble ou des règles de confinement, ou réelles crises d’agressivité pouvant se déployer physiquement envers les parents et la fratrie...

Quels sont les enjeux sous-jacents à cette agressivité, en particulier chez l’adolescent confiné ?

Sur le plan corporel, l’adolescence s’accompagne de changements majeurs et de la nécessité d’habiter ce corps devenu étrange ou étranger, traversé par une nouvelle énergie vitale pulsionnelle, agressive et sexuelle. Comment arriver à canaliser, à déplacer et à sublimer cette force de vie, dans l’espace clos du confinement ? Les activités physiques sont souvent restreintes, les jeux vidéos sont très présents et pas forcément suivis de moments de décompression, de moments interstitiels apaisants.

Sur le plan psychique, l’adolescence s’accompagne de moments de dépressivité, avec souvent des idées noires et des vécus d’angoisse. Comment dès lors métaboliser psychiquement une situation quotidienne qui engendre du repli sur soi, au risque de renforcer cette dépressivité ? Comment également faire face aux angoisses liées à la maladie, au risque de mort (renforcées par les rares cas de décès d’adolescents en Europe liés au Covid19) ? Un mécanisme de défense psychique est de répondre à ces mouvements par un déploiement de la toute-puissance, de la sensation d’invincibilité, qui ouvre la porte au refus des règles de vie domestiques mais aussi aux transgressions des règles du confinement (sorties pour aller voir les copains ou la petite copine, organisation de lockdown parties).

Sur le plan relationnel, l’adolescent se retrouve la plupart du temps sous le regard de ses parents. Se sentant effractés dans leur intimité, vivant le regard parental comme une oppression, certains adolescents déploient leur agressivité comme un rempart contre la proximité parentale, tout en tentant de maîtriser la dynamique familiale. Cette maîtrise du système familial leur donne ainsi l’illusion rassurante de contrôler quelque chose dans leur vie, même si elle s’accompagne d’une autre angoisse, celle de ne plus être aimés. Dans certaines familles, l’agressivité de l’adolescent confiné renvoie les parents à leur propre difficulté à gérer leur agressivité, avec un risque réel de maltraitance envers le jeune.

Du côté des thérapeutes d’adolescents, il importe de demander des nouvelles de l’adolescent et de sa famille, sans être intrusifs, sans vouloir à tout prix « courir » derrière le jeune. Nous pouvons faire proposition de moments d’échange par vidéo, qui se dérouleront parfois comme des séances de consultation. Toutefois, l’entretien vidéo ne correspond pas à tous les jeunes : certains écourtent l’échange, après avoir vérifié que le thérapeute ne les oubliait pas. D’autres ont du mal à s’investir dans ce mode de communication, car ils se sentent épiés par des parents à proximité... Parfois un simple appel téléphonique ou un message sécurisé par e-mail peut correspondre à certains
jeunes : ces moyens « préhistoriques » pour certains adolescents leur conviennent assez souvent car ils leur permettent la distinction entre la communication avec leurs pairs et celle avec les adultes.

Vivre le confinement c’est aussi commencer à penser l’après-confinement... Bien sûr, beaucoup d’adolescents aspirent à ce moment de libération et pensent à tout ce qu’ils vont pouvoir y faire. Ne négligeons toutefois pas, en tant qu’adultes, de les écouter également dans leurs interrogations, dans leurs doutes : comment le scolaire va se réenclencher, comment seront les relations « pour de vrai » avec les copains, comment la relation avec la petite copine aura évolué ? Ces questions peuvent se superposer à d’autres interrogations des parents et, là aussi, une mise en mots familiale sera particulièrement utile en distribuant la parole à chacun.

Dr Emmanuel Thill, pédopsychiatre, le Vert à Soi (Tournai)

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