Appel contre la fabrique des bébés téléphages

Appel à signatures (Vu sur squiggle.be)

Le lancement d’une nouvelle chaîne de télévision destinée aux enfants de 6 mois à 3 ans pose quatre problèmes graves.

1.
Tout d’abord, nous savons aujourd’hui que le développement d’un jeune
enfant passe par la motricité et la capacité d’interagir avec les
différents objets qu’il rencontre. Alors que l’interactivité est
intrapsychique chez l’adulte et l’enfant grand, elle a encore besoin de
s’appuyer sur le corps et la sensori-motricité chez l’enfant jeune.
L’intelligence, à cet âge, est en effet plus corporelle (sensori -
motrice) que imagée ou conceptuelle. Il est à craindre que le temps
passé par l’enfant devant les émissions d’une chaîne de télévision -
qui rassurera les parents parce qu’elle est présentée comme fabriquée
pour les tout-petits – ne l’éloigne des activités motrices,
exploratoires et interhumaines, fondamentales pour son développement à
cet âge.

2. Nous savons aussi que l’enfant ne se développe, et
n’établit une relation satisfaisante au monde qui l’entoure, que s’il
peut se percevoir comme un agent de transformation de celui-ci. C’est
ce qu’il fait quand il manipule de petits objets autour de lui. Il est
à craindre que l’installation d’un tout-petit devant un écran ne
réduise son sentiment de pouvoir agir sur le monde et ne l’enkyste dans
un statut de spectateur du monde.

3. Alors que les programmes
proposés par cette chaîne existent déjà sous la forme de DVD, qui ont
l’avantage de proposer une durée limitée, il est à craindre que la
création d’une chaîne émettant en continu 24 heures sur 24 n’incite les
parents à l’utiliser comme un moyen facile d’endormir leur enfant. Tous
les parents savent comme le coucher d’un tout-petit est difficile : il
rappelle, les parents y retournent, puis quittent sa chambre… pour
revenir un peu plus tard, attirés par de nouveaux cris. Beaucoup de
parents risquent d’être tentés par l’installation de la télévision dans
la chambre de leur tout-petit comme un moyen de faciliter
l’endormissement de celui-ci.

4. De nombreux travaux d’éthologie,
y compris appliqués à la relation mère enfant, ont montré combien
l’être humain est capable de s’accrocher aux éléments les plus présents
de son environnement, dès les débuts de la vie, et notamment à ceux
dont il a l’impression qu’ils le regardent. Il est à craindre que de
jeunes enfants confrontés sans cesse aux écrans ne développent une
relation d’attachement à eux qui les « scotchent » indépendamment de
tout contenu. Ces enfants ne pourraient se sentir « bien au monde » -
autrement dit sécurisés - que si l’un de ces fameux écrans est allumé
près d’eux. L’argument qui consiste à dire que cette chaîne ne contient
pas de publicité est particulièrement fallacieux de ce point de vue :
les publicistes se rattraperont après, quand l’enfant plus grand ne
pourra plus se passer d’une présence permanente d’un écran allumé à
côté de lui.

En conclusion : cette chaîne,
évidemment lancée pour les actionnaires, risque de séduire certains
parents. Mais ce n’est certainement pas pour le bénéfice des enfants
qui seront installés devant elle. A une époque où on parle beaucoup
d’écologie, prenons conscience que protéger nos enfants du risque de
développer une forme d’attachement à un écran lumineux est une forme
d’écologie de l’esprit.
C’est pourquoi il est urgent de se mobiliser
pour la création d’un moratoire qui interdise à de telles chaînes de
diffuser des programmes pour tout petits en continu, 24H sur 24, avant
que nous en sachions un peu plus sur les relations du jeune enfant et
des écrans.

Cet appel est
lancé à l'initiative Serge Tisseron (Psychiatre, psychanalyste et
Directeur de recherches à l'Université Paris X) avec Pr Pierre Delion
(Chef de service de pédopsychiatrie au CHU de Lille), Philippe Duval
(Psychologue Clinicien, Directeur de Publication du Jounal des
Professionnels de l'Enfance), Sylviane Giampino (Psychanalyste,
psychologue petite enfance, fondatrice d’A.NA.PSY.p.e.), Pr Bernard
Golse (Chef de service de pédopsychiatrie CHU Necker-enfants malades,
professeur Université Paris V), Vincent Magos (Psychanalyste,
responsable de la Coordination de l'aide aux victimes de maltraitances
- Belgique) et Pr Marie-Rose Moro (Chef de service au Centre
Hospitalier Universitaire Avicenne).

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