[Texte] Quelle prévention pour la maltraitance?

Ce texte, rédigé par Reine Vander Linden, livre quelques réflexions à propos du travail de prévention générale autour de la naissance et propose des perspectives optimistes, quand on considère les troubles précoces du lien dans pratiquement la totalité des histoires de maltraitance et d’abus envers les enfants. Beaucoup plus qu’une prévention repérage ou dépistage, le travail en périnatalité promeut une prévention « promotion des compétences parentales » par un soutien humain confiant et rigoureux. 

Sommaire : 
1. A LA RECHERCHE D’UNE DEFINITION
2. HISTORIQUE DES PROGRAMMES DE PREVENTION : DYNAMISME ET EFFETS PERVERS
3. LES PREVENTIONS PERINATALES 
4. INTERET D’UNE PREVENTION PRECOCE : 
    
A. Obstacles à cette prévention
    B. La collaboration médico-psychologique et ses difficultés
5. CONCLUSIONS

  • 1. A LA RECHERCHE D’UNE DEFINITION 

Parler de prévention de la maltraitance implique qu’on s’entende sur ce terme.
Quelle réalité recouvre-t-elle ? Quelle logique sous-tend la lecture et la compréhension de ce problème ?
Différents champs professionnels ont tenté de cerner dans ces dernières décades les abus et les mauvais traitements aux enfants.

Le monde médical, à un moment de son histoire, a fait une lecture particulière des symptômes rencontrés, depuis déjà bien longtemps mais jamais identifiés et repérés comme étant des conséquences de mauvais traitements. Lorsque ce lien fut établi fin des années 60, le syndrome de l’enfant battu a mobilisé le champ judiciaire qui s’est attelé à circonscrire cette triste réalité en en définissant les signes et les limites dans une logique de « recherche de la vérité », vérité devant être étayée par des preuves tangibles pour aboutir à une poursuite de la personne ayant commis des maltraitances.

Parallèlement, le monde psycho-social s’est penché sur cette réalité en lui collant à son tour une « étiquette » spécifique.
C’est à partir des signes objectivement repérables sur le corps des enfants que les « psy » ont cherché, eux aussi, à cerner et puis à délimiter le phénomène maltraitance. Et jusqu’à il y a 10-15 ans, quand, en Belgique, on a lancé des recherches-actions à propos de ce problème, les termes abus sexuels et maltraitance étaient extrêmement peu utilisés dans le vocabulaire de la santé mentale. Pour sortir cette problématique de l’ombre et du silence, il a fallu mettre les projecteurs sur elle et l’ériger en entité spécifique. Une réponse sociale et politique spécifique, est alors donnée par la mise en place en 85 des équipes SOS. Equipes à vocation monosymptômatique, fonctionnant de façon pluridisciplinaire et avec une mission thérapeutique. Il était évident qu’il fallait réfléchir à une approche particulière d’un problème qui avait toujours existé mais qui n’avait jamais été identifié comme tel. Mais toute médaille a son revers et en tentant d’apporter une réponse spécialisée à ce problème, on en a parfois perdu la capacité d’en avoir une lecture suffisamment large et dynamique.

De plus, la pression sociale faite sur « les équipes spécialistes de la maltraitance » a, hélas, souvent poussé les psychothérapeutes à sortir de leur rôle et les a amenés, insidieusement, à adopter une logique apparentée à celle du monde judiciaire : celle de la recherche de la véracité.
Cette confusion des rôles, qu’on peut mettre en parallèle avec celle des familles maltraitantes - c’est précisément leur symptôme - orientent erronément, à mon sens, certaines démarches de prise en charge mais également certaines démarches - j’y arrive - de prévention.

L’équipe dans laquelle je travaille (équipe extra-hospitalière qui n’a pas d’infra-structure d’accueil en urgence) s’est aménagée une place parmi les autres structures oeuvrant dans le secteur de la santé mentale.

Face aux situations définies comme étant des problèmes de maltraitance, nous centrons notre action sur le réseau psycho-social. Nous le soutenons dans son travail de première ligne en aidant les différents acteurs psycho-médico-sociaux à opérer à partir de la place où ils se trouvent, à aménager concrètement la protection quand c’est nécessaire, à assumer leurs responsabilités civiles et professionnelles envers l’enfant en danger, sans chercher à se défaire ou se décharger directement des situations délicates avec lesquelles ils sont en prise, sur des plus spécialistes qu’eux. Seulement alors, lorsque dans la réalité un cadre est aménagé, des articulations de qualité peuvent s’organiser avec d’éventuels autres services, nous y compris, pour une prise en charge thérapeutique.

Dans ce travail thérapeutique et à partir de la définition qui a été faite des difficultés des familles, nous tentons alors à prendre en compte la souffrance des différentes générations et l’avenir relationnel des futures cellules familiales que les patients, meurtris par l’abus et la violence, seront un jour amenés à créer.

Ce travail particulier nous montre quotidiennement, combien les symptômes visibles de la violence ne sont que la pointe de l’iceberg et combien ils s’enracinent dans des dérapages relationnels précoces du côté des adultes eux-mêmes, meurtris par des expériences similaires et non soutenues dans leur entreprise de procréation et de mise au monde. La violation de la place de l’enfant dans ces constellations familiales maltraitantes et abusives est bien antérieure au passage à l’acte. Celui-ci n’est somme toute qu’un cri d’appel du système familial entier.

Lorsqu’un parent, ayant lui-même été bafoué dans sa confiance et sa position d’enfant, demande à son enfant de s’adapter et de répondre à ses demandes de consolation, de renflouage narcissique ou de réparation, il usurpe la place qui revient à son propre enfant en contraignant ce dernier à adopter une attitude parentale à son égard. Cet abus-là m’apparaît clairement aussi destructeur que le passage à l’acte lui-même car il s’accompagne la plupart du temps de blâmes et de reproches concernant l’incapacité, bien normale, de l’enfant à répondre, à satisfaire les besoins de l’adulte et épuise ainsi sa réserve de confiance (plusieurs jeunes filles abusées me disent que l’agression sexuelle n’est rien à côté de la perte de leur statut d’enfant dans leur relation à leur 2 parents).

Si je me permets de m’étendre quelque peu sur la question de la définition et de la limite de la maltraitance et des abus, c’est parce qu’il me paraît difficile de savoir quelle maltraitance l’on souhaite prévenir ou plutôt quel échelon de l’installation des comportements maltraitants et abusifs voulons-nous viser par la prévention.

J’ai réfléchi à ce qui sous-tendait les initiatives de prévention ciblant le phénomène maltraitance :
- est-ce l’évacuation d’un symptôme dérangeant et angoissant au niveau d’une communauté ? - est-ce un souci de maîtrise d’un phénomène qui semble prendre de l’ampleur dans notre société déshumanisée ou est-ce le souci d’une promotion de la santé et du bonheur que l’on peut trouver dans des relations harmonieuses et saines ?
- est-ce une préoccupation particulière pour l’enfant mais alors quel enfant ? L’enfant représentation mentale du petit être fragile et isolé ? L’enfant avenir de notre société économique et politique de demain ou enfant inscrit dans une préoccupation éthique pour l’avenir des relations au sein des générations futures ?
- est-ce encore une attention particulière portée aux plus vulnérables de notre société ou attendue légitimement par les plus vulnérables ?
On pourrait continuer la liste mais je pense que l’idée qui sous-tend les initiatives de prévention de la maltraitance oriente bien sûr une certaine politique sociale sur laquelle il ne serait pas inutile de se pencher davantage.

  • 2. HISTORIQUE DES PROGRAMMES DE PREVENTION : DYNAMISME ET EFFETS PERVERS 

Le souci de prévention naît aux Etats Unis dans la fin des années 70 et fait suite à une prise de conscience de l’ampleur du phénomène des abus sexuels. Le manque de moyens pour prendre en charge ces enfants et leur famille se fait sentir. Des centres spécialisés sont créés par le National Center for Child Abuse en Neglect afin de développer des programmes de traitement. Mais les capacités de prise en charge restent nettement insuffisantes par rapport aux demandes. La question de la prévention se pose alors dans l’espoir de diminuer la prévalence de cette forme de maltraitance.

En 1977, Cordélia Anderson crée le « Touch Continuum » dont le principe sera repris dans de nombreux programmes. C’est une innovation difficile puisqu’on attire plus l’attention des enfants sur les dangers qui existent à suivre des méchants inconnus qui leur proposeraient des bonbons mais on leur apprend davantage à différencier les touchers bons, mauvais ou confus.

Fin 1980, l’intérêt de la prévention est reconnu à un niveau national et des subsides sont accordés par le gouvernement fédéral pour implanter 6 projets de démonstration en prévention des abus sexuels en milieu scolaire.

Ce domaine va connaître un essor important dans les années 80. Certains y voient l’influence conjuguée des mouvements féministes et ceux de protection (Butler 1986) :
- L’approche du problème par les milieux de protection est basée sur l’analyse des facteurs affectant la santé mentale : les pathologies psychologiques, le dysfonctionnement familial, le stress générateur de comportements abusifs, l’utilisation de drogues...
- L’approche féministe considère le problème comme le résultat d’un abus de pouvoir de la part des hommes et de la justification sociale du recours à la violence pour dominer femmes et enfants. Les efforts de prévention envisagés sous cet angle, sont axés sur l’acquisition de moyens physique et psychologique d’autodéfense.

Avec quelques années de retard, une évolution similaire du phénomène de prévention s’est produite au Canada. En Belgique et en France, l’idée de prévention apparaît avec la découverte d’un support pédagogique canadien destiné aux enfants : « Mon corps c’est mon corps ». Ce programme est présenté au Congrès sur l’Enfance Maltraitée de Montréal en 1984, et est rapporté en Europe.
Il va être à la base d’un certain nombre d’initiatives en matière de prévention.
Aujourd’hui, ces programmes sont fort répandus. On en retrouve plusieurs centaines aux Etats-Unis (pièce de théâtre, programme de formation, livre à colorier, B.D.,...) mais aussi au Canada, au Mexique, en Afrique du Sud, en Suède, en Australie, Angleterre...Plus d’un million d’enfants y ont été exposés. Malheureusement, ces différentes initiatives ne reposent pas toujours sur une réflexion suffisamment clinique et encore moins sur une évaluation de leur impact (cela pour des raisons d’impossibilités d’ordre éthique). On peut se demander si la quantité n’a pas primé au détriment de la qualité et certainement d’un professionnalisme dans le secteur.

Voici à ce propos les résultats d’une action de prévention dans l’Isère et la Seine St Denis visant les enfants et l’évaluation de son impact :
- il est nécessaire qu’une concertation ait lieu entre toutes les personnes ayant une responsabilité d’éducation ou de protection de la santé physique et mentale des enfants;
- il est indiqué de former un groupe ressource constitué de professionnels ayant des compétences solides sur le sujet ;
- le milieu scolaire semble le lieu où l’information a le plus de chances de toucher le maximum d’enfants ;
- l’information des enfants doit être faite par des adultes ayant, outre des qualités pédagogiques solides, une bonne formation sur ce thème ;
- une information appropriée du grand public doit accompagner les interventions directes auprès des enfants. En effet, une information mal préparée sur un thème aussi délicat, dans une population non sensibilisée, peut amener des réactions de négation ou de considération consécutives à la levée du tabou ; - la sensibilisation des travailleurs est un processus lent mais indispensable avant d’engager toute action auprès des enfants;
- il est important que les parents n’aient pas le sentiment d’être dépossédés de leur part active dans cette expérience éducative mais qu’ils soient impliqués dans le projet.

En Belgique, différentes initiatives sont créées en matière de prévention par des organismes tel que les équipes SOS, les centres éduca-santé, les IMS,...

Ces projets émergent, hélas parfois de manière isolée, sans organe de référence, sans concertation suffisante entre les différents acteurs de cette prévention. De plus, les évaluations de ces animations ont rarement lieu.

Ce qui me pose question, c’est que ce type de prévention cherche essentiellement à renforcer la résistance de l’enfant et à lui donner les outils pour se défendre sans suffisamment réinterroger la responsabilité de l’adulte.

N’est-ce pas un processus d’adultification de l’enfant qui risque là de s’initier, si par ailleurs l’on ne cherche pas les moyens d’atteindre et de responsabiliser l’adulte dans son devoir de respect et de soutien de l’enfant ?
Le souci de diminuer la vulnérabilité de l’enfant n’est-ce pas prendre les choses à l’envers ? En partant de l’idée qu’il faut changer l’enfant qui manque de lucidité et qui se vit dépendant de l’adulte pour l’amener à refuser ses propositions dangereuses, je crains que l’on abuse de sa position d’enfant en le faisant devenir responsable de sa propre protection, en lui imposant une tâche qui devrait normalement revenir aux adultes. Sans tomber dans des considérations candides sur le droit à la naïveté et à l’insouciance chez l’enfant, je pense malgré tout utile et nécessaire de se demander quelque peu ce que l’on promeut dans une telle politique préventioniste.

L’estime de soi, la capacité à se faire respecter, la capacité à se positionner comme sujet dans une relation asymétrique d’enfant à l’adulte se vit, se crée d’abord et avant tout dans une relation à l’adulte, au parent « suffisamment bon » mais insuffisamment soutenu dans sa fonction parentale au sein de notre société.
De plus, la prévention en matière d’abus sexuel implique inévitablement que l’on touche aux valeurs, domaine sacré de la famille. Les conséquences liées à la mise en porte à faux de l’enfant ne sont-elles pas aussi ravageuses et destructrices ? Il est indispensable, par ailleurs, d’offrir un soutien par rapport à un réajustement du lien et des responsabilités dans ces familles.

Il apparaît donc nécessaire de se tourner vers l’adulte pour penser la prévention qui vise l’enfant.

Comme le dit WINNICOT « l’enfant tout seul n’existe pas ». Il se construit, se façonne dans la relation à ceux qui sont responsables de lui, ses parents, ses enseignants éducateurs et/ou tous ceux qui devront, dans certaines situations, prendre le relais en cas de défaillances parentales.

C’est pourquoi, j’ai envie d’aborder maintenant la prévention par l’intermédiaire des adultes au moment où ils naissent à leur fonction parentale.

  • 3. LES PREVENTIONS PERINATALES  

Je soulignais que l’anamnèse des troubles des enfants consécutifs ou non à des faits de maltraitance aboutissaient la plupart du temps à ..«déjà à la maternité ».. raconté par les mères.

Il est donc logique que, pour comprendre et imaginer une prévention, les chercheurs aient tenté d’élargir des corrélations entre des facteurs de risque repérables et la prévalance de comportements maltraitants dans certaines constellations familiales.
Ainsi le travail de MANCIAUX sur les risques repérables lors de l’accompagnement anténatal a mis en évidence des points d’alarme du côté de l’histoire des parents, de la situation actuelle des parents et de l’enfant (je ne les reprendrai pas ici).
Mais ce qu’il importe de souligner, c’est que ces recherches (ainsi que celle d’autres chercheurs) sont le résultat d’analyses rétrospectives. Nul n’a pu, jusqu’à ce jour, établir une prédictivité ou des corrélations prospectives fiables.
Une sémiologie du risque psychologique en maternité ou dans la sphère périnatale est à dégager ensemble entre professionnels accompagnant une grossesse.
Le ciblage spécifique d’une population à risques induit à son sujet des prédictions négatives qui empêchent souvent les intervenants de découvrir les ressources existantes. Ces dernières sont précisément les points d’appui à partir desquels le travail « préventif » se réalisera.

Sinon, gare à une psychologie invalidante qui traquerait le dysfonctionnement parental avant même qu’il ne surgisse et attention à la perte de compétences des professionnels qui ne sauraient plus « être là » tout simplement dans les moments difficiles.

La prévention qui s’intéresse au début de la vie doit être une prévention générale. Dans ces lieux privilégiés que sont les lieux de naissance dans notre société médicalisée, arrivent 98% des femmes des couples qui mettent au monde. Leur contact avec des professionnels est, en sorte, un passage obligé mais est aussi, si elle est bien gérée, une opportunité de rencontre avec différents champs professionnels qui peuvent s’articuler entre eux pour soutenir chez les parents l’émergence de leur compétences.

C’est à partir et avec ces compétences que les parents s’engagent dans l’attachement à leur enfant. Or un processus défectueux d’attachement peut avoir des conséquences sur les modalités d’interactions entre l’enfant et ses parents et s’exprimer au cours du développement sous des formes variables, souvent peu perceptibles d’emblée :
- troubles fonctionnels du 1er âge (pleurs intenses) ;
- troubles du sommeil, de l’alimentation (régurgitations) ;
- retard de développement d’origine psycho-affective;
- psychopathologie d’émergence variable (dépression, repli autistique) ;
- manifestations directes de maltraitance.

Les signes d’alarme précoces sont mieux connus depuis que se sont développées différentes méthodes d’observation du nourrisson dont l’évaluation de BRAZELTON est la plus connue : hypotonie ou hypertonie, pleurs incessants, absence de réactivité...).

  • 4. INTERET D’UNE PREVENTION PRECOCE

La période de la grossesse et de la naissance est un moment privilégié de prévention des troubles de l’attachement pour deux raisons majeures :

1) La surveillance de la grossesse et de l’accouchement constituent de fait un encadrement humain qui permet le repérage d’éventuels facteurs de risque de difficultés dans l’établissement du lien, de dépression maternelle ultérieure (les effets pathogènes sur l’enfant de ces dépressions sont bien connus), ou d’autres formes de dysfonctionnement de parenté. Le dépistage pendant la grossesse d’une angoisse inexpliqué ou de malaises exagérés permet la prise en compte, par l’obstétricien, la sage-femme, l’omnipraticien ou éventuellement par un spécialiste, des conflits psycho-affectifs réveillés par la venue de l’enfant. Il faut signaler à ce propos le risque qu’il y a à colmater par un simple traitement médicamenteux des symptômes dépressifs pendant la grossesse, sans que soient abordés les conflits internes. Ceux-ci risquent fort de resurgir dans le post-partum, lorsque la mère sera seule et dévalorisée par son incapacité.

En effet, après la naissance, les parents se retrouvent souvent seuls, et peuvent se refermer en cas de malaise sur un sentiment d’échec ou d’incompétence face à un enfant qu’ils ne comprennent pas. On sait que la dépression maternelle s’exprime souvent quelques semaines après la sortie de maternité : elle se camoufle alors sous une « fatigue » qui diminue la disponibilité de la mère vis-à-vis du bébé.

2) Il s’agit d’un moment unique de disponibilité psychologique des parents, particulièrement de la mère, en plein bouleversement physique et émotionnel, très sensible à son environnement, perméable à ses mouvements intérieurs mais aussi aux relations extérieures. Lorsque les parents ont été meurtris dans leur passé et n’ont pu franchir certaines étapes de maturation, la « transparence psychique » de la grossesse permet une mobilisation rapide des émotions, et le support naturel des professionnels peut redonner la confiance et la sécurité qui ont pu manquer par ailleurs.

A cette période, les parents acceptent volontiers un projet de soutien qui s’appuie sur leurs compétences sans stigmatiser uniquement leurs défaillances. C’est là tout le champ d’une prévention très large de la maltraitance pour laquelle il a été démontré depuis longtemps que les maternités peuvent jouer un rôle inestimable. Il est frappant d’entendre quotidiennement des parents, qui ont été bien accompagnés par l’équipe soignante lors d’un épisode médical douloureux (diagnostic anténatal, mort périnatale, etc...) dire par la suite : « nous sommes sortis de là grandis ». 

A. Obstacles à cette prévention
La tâche des obstétriciens et des pédiatres est difficile :
ils doivent faire preuve d’une parfaite maîtrise technique, sans laquelle les dégâts humains peuvent être lourds (urgence des décisions et des gestes);
ils doivent intégrer des éléments qui renvoient à des disciplines diverses (« médicale », sociale, psychologique) pour garantir le bien-être de l’enfant et des parents. Or, ils n’ont pas reçu de formation pour les aspects psycho-sociaux;
ils n’ont aucun moyen d’évaluer dans l’instant les effets de leurs attitudes et manquent de retour sur le devenir de la famille (l’exemple le plus banal est celui de l’accouchement vécu comme « acrobatique » par l’équipe et ressenti de manière merveilleuse par la mère, et réciproquement);
ils ne disposent d’aucun outil pour prédire, de manière sûre, un éventuel malaise dans la relation parents-enfants. Ils demandent une « sémiologie du risque » qui n’existe pas, car elle fait appel non seulement à des facteurs objectifs tenant aux parents et à l’enfant, mais tout autant aux modalités de la prise en charge technique et relationnelle. Ils savent qu’une femme, à l’issue d’une toxémie gravidique, peut retrouver son intégrité émotionnelle, et qu’une autre se culpabilisera, après coup, d’avoir manqué d’élan vers son enfant, le surprotégera et favorisera ainsi l’apparition de troubles fonctionnels;
enfin, ils ne disposent pas de protocoles « d’accompagnement » qui tiennent compte de la singularité de chaque couple dans les situations nouvelles induites par l’évolution technique (cas de grossesses multiples, du diagnostic anténatal), ou face à des problématiques sociales déconcertantes (migration, détresse, abandon, etc...).

Or la naissance, surtout si elle est compliquée, est fortement chargée d’émotion pour les parents, mais aussi pour les soignants.
Les femmes ont besoin que leurs émotions soient prises en compte pour pouvoir les réorganiser dans leur psychisme. Des émotions non partagées avec l’environnement risquent de se figer et de « gripper » la dynamique psychoaffective de ces femmes. Les images soulevées quant à la valeur de l’enfant peuvent aussi se fixer de manière négative (cas du diagnostic anténatal). On parle alors de « problèmes psychologiques » dans la mesure où la mère (et le père) risque de perdre sa spontanéité face à son enfant et lui répondre d’une manière non adéquate parce qu’encombrée de ces « émotions figées ».

La non adéquation des interactions mère-enfant devient à son tour occasion d’une éventuelle psychopathologie chez l’enfant, révélée le plus souvent lors des étapes-clé du développement.

Les soignants n’ont pas toujours les moyens de différencier leurs propres émotions (parfois leur propre malaise) et celles des parents. C’est pourquoi, ils restent parfois sur la réserve, dans un désir louable de ne pas projeter leurs propres jugements. Cette réserve peut être ressentie par les parents comme une indifférence, d’où ces malentendus retrouvés dans les consultations psychologiques ultérieures.

Les femmes (les couples) demandent au médecin, qui pénètre obligatoirement dans leur intimité (cas particulier des Pma), de tenir compte des émotions soulevées (en tout cas de ne pas les exclure). La collaboration avec le « psy » prend tout son sens en aidant les soignants à repérer un éventuel malaise chez leur patiente, et à le différentier de leurs propres sentiments.

B. La collaboration médico-psychologique et ses difficultés
Les services de « psy » commencent à collaborer avec les équipes obstétricales et pédiatriques. En effet, au moment où l’enfant met en place les fondements de sa personnalité, des interventions légères paraissent très efficaces, alors qu’une intervention psychologique tardive se chiffre en coûts élevés et se heurte à des limites d’efficacité, une fois les troubles structurés. C’est avec les obstétriciens et les pédiatres que le « psy » pourra construire une véritable sémiologie de l’attachement et de ses troubles.

Ceci demande que le « psy » s’intéresse aussi à ce que vivent les professionnels et acquière une bonne connaissance des implications techniques des naissances à risque. Sinon, il peut être ressenti comme maladroit et critique s’il fonctionne en cavalier seul. De plus, il se priverait de toute une part de connaissance fondamentale : les modalités de communication entre les parents et les soignants, et la compréhension de la place psychologique des soignants.

L’intervention psychologique directe doit rester mesurée et laisser une grande place au soutien indirect de l’équipe soignante face aux situations à forte implication émotionnelle. Il existe un risque non négligeable de nouveau clivage : les « psy » s’occuperaient de l’humain (émotion, angoisse) et les somaticiens du corps. Il s’agit bien, au contraire, de rendre aux parents et aux professionnels « de première ligne » la globalité de l’événement naissance.

Enfin, la dimension de recherche interdisciplinaire doit être constructive de toute collaboration médico-psychologique. D’abord, pour mieux connaître la construction de l’attachement et ses effets sur le développement de l’enfant, mais aussi pour préciser les indications d’intervention psychologique ou psychiatrique.

Les services d’obstétrique, avec le développement fulgurant des connaissances sur le foetus, deviennent en ce sens le creuset d’une réflexion originale au sein de la médecine et pourraient constituer un modèle de conception intégrative de la santé.

Il paraît indiqué de multiplier les occasions de formation des différents partenaires de la naissance à une approche médico-socio-psychologique, et de favoriser les collaborations interdisciplinaires, à condition que soient respectées les spécificités de terrain et le désir des soignants.

  • 5. CONCLUSIONS  

Ces quelques réflexions, à propos du travail de prévention générale autour de la naissance, ouvrent des perspectives optimistes quand on considère les troubles précoces du lien dans pratiquement la totalité des histoires de maltraitance et d’abus envers les enfants.
Beaucoup plus qu’une prévention repérage ou dépistage, le travail en périnatalité promeut une prévention « promotion des compétences parentales » par un soutien humain confiant et rigoureux.

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