[Texte] Pourquoi ne pas céder aux demandes des parents de recevoir des photos de leurs enfants au quotidien, lors d’un voyage scolaire, camp, stage en internat…?

La technologie omniprésente dans notre quotidien a désormais investi écoles, plaines de jeux, camps de jeunesse… Dès lors, interroger son usage au sein des collectivités qui accueillent enfants et adolescents s’impose pour penser son incidence sur les conditions éducatives. Un enseignant doit-il accepter d’envoyer des photos quotidiennement aux parents lors d’un voyage scolaire ? Dans quel but créer un groupe Whatsapp avec les parents de sa classe ? Faut-il autoriser le smartphone au sein d’un internat, lors d’un camp ? Comment résister à l’exigence de certains parents d’un lien technologique permanent avec leur enfant ?

Penser ces questions au sein de chaque équipe permet de poursuivre ses missions éducatives, sportives, sociales… en étant en adéquation avec les besoins et le rythme de développement de l’enfant : découverte de l’intimité, de la séparation, de l’autonomie vis-à-vis de ses parents…

Tout comme la technologie a petit à petit modifié nos manières d’être ensemble, elle a impacté nos manières d’être séparés. Réseaux sociaux, smartphones invitent à être continuellement connectés, à être avertis en temps réel de tout ce qui se passe aux quatre coins du monde, à avoir des yeux et des oreilles partout, à surveiller, contrôler…

Enfants et parents sont pris dans ce mouvement au point que ces derniers, aux prises avec leurs propres difficultés à supporter l’absence, à laisser leur enfant/adolescent prendre son envol, peinent à supporter la séparation nécessaire à l’enfant.  En témoignent les exigences de plus en plus fréquentes des parents à l’égard des professionnels à qui ils confient leur enfant.   

Grandir c’est se séparer
Le bébé vient au monde en totale dépendance de ses parents qui prennent soin de lui. Cette entière disponibilité du parent est essentielle à sa survie. Au fur et à mesure que le bébé grandit, la relation avec ses parents va se faire plus distante, moins dans le corps à corps. Peu à peu, en renonçant à la tétée, l’enfant apprend le plaisir de manger seul, sous les encouragements de ses parents, il apprend à marcher, et puis à parler, à penser… et va ainsi s’éloigner de ses parents pour progressivement s’ouvrir au monde.

Accompagner l’enfant dans ces étapes de séparation lui est indispensable. Du côté du parent, soutenir l’autonomie progressive de son enfant relève d’un travail complexe qui engage un double mouvement : à la fois, une présence et une attention totale à l’enfant et, à la fois, la capacité à le laisser grandir par lui-même. Si de tout temps, cette « dialectique » de la parentalité a toujours été difficile, cette tâche parentale est aujourd’hui rendue plus ardue encore du fait des conditions technologiques, entre autres.  

Or, pour l’enfant, sentir son parent capable de supporter l’éloignement est essentiel pour qu’il puisse grandir. Partir en camp, en voyage scolaire, aller dormir chez les grands-parents… expérimentations essentielles, implique que les parents acceptent qu’il vive des expériences loin d’eux, de faire confiance tant à leur enfant qu’à un adulte qui aura d’autres manières d’agir, de penser.

Comment les équipes éducatives peuvent-elles soutenir les parents pour que l’enfant puisse naviguer paisiblement entre des univers scolaires et familiaux parfois différents ?

Soutenir les parents
Prendre le temps de présenter aux parents l’ensemble des activités qui vont rythmer l’année, de l’obligation d’y participer, sur le moyen de communication choisi pour échanger avec eux (mails, groupe sur un réseau social…) permet de faire émerger d’éventuelles questions, craintes. Cela laisse du temps pour déplier avec eux leurs difficultés par exemple par rapport au voyage scolaire : de quoi ont-ils peur ? Y a-t-il des choses que l’enfant n’ose pas dire et qui le mettent en difficulté (énurésie nocturne, troubles du sommeil,…) ? Comment les aider à penser, à anticiper et puis à traverser cette séparation nécessaire pour leur enfant ?

Une fois ce cadre clairement explicité, l’équipe éducative, l’enseignant peut y revenir lorsque certains parents remettent en question les règles préalablement fixées.

Dialoguer avec les parents en leur offrant des espaces pour échanger, en se montrant créatif dans la manière d’inclure certaines pratiques culturelles et familiales (inviter un parent à venir cuisiner …), permet de les rassurer, qu’ils se sentent entendus et soutenus dans leur parentalité…

La nécessité d’intimité pour l’enfant
Accepter de laisser les parents rentrer dans l’intimité, les espaces personnels des enfants lors de temps collectifs (école, camp, crèche) via, par exemple, l’envoi de photos, interroge. Les espaces intimes, hors du regard des parents permettent à l’enfant qui grandit de vivre ses propres expériences, de se créer un univers, d’expérimenter toutes les facettes de sa personnalité. Ces espaces personnels, tout comme les espaces familiaux, sont nécessaires pour grandir.

Déconnectés de toutes ces technologies, les parents se contentent de quelques rares nouvelles ou photos mais surtout de ce que leur enfant accepte de leur dire. Il est libre de raconter ce qu’il veut, de cacher, d’édulcorer, de tout ou ne rien dire de son quotidien. Petit à petit il apprend à se raconter, à devenir véritablement acteur de son récit, de sa vie.
Le récit d’un voyage, d’un camp ou d’une année scolaire peut alors se faire lors d’un moment collectif, parfois imaginé par les enfants eux-mêmes qui agrémentent les photos de commentaires.

En prenant constamment en photo les enfants et en les mettant en ligne entre autre sur des groupes réunissant les parents, quels messages les adultes leur envoient-ils ? Quelle valeur donnée à l’instant présent, à l’ici et maintenant ?

En tant qu’intervenant, penser ces questions en équipe et en concertation avec la direction est nécessaire. Comment communiquer avec les parents ? Comment les soutenir dans leur difficulté à accepter la séparation ? Quelle est notre propre relation aux objets connectés ?
Ces questions appellent des décisions collectives concrètes basées sur les besoins des enfants, sur leur rythme de développement. C’est en prenant ces questions à bras le corps, en en dépliant toute la complexité que chaque intervenant se sentira légitime de défendre la position qui a été adoptée au sein de son institution.

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