Un entretien avec Nathalie Grandjean (07:56), philosophe, dans le contexte du Covid-19.
La société néo-libérale dans laquelle nous vivons est une société du présentisme, c'est-à-dire de la tyrannie du présent, de l'urgence, dans lequel passé et futur sont considérés comme moins importants. La crise Covid est en quelque sorte une caricature de ce présentisme où toutes les décisions sont tournées vers l'ici et maintenant. A cela se superposent les confinements qui, à l'inverse, sont des temps suspendus qui servent à ralentir la circulation du virus et paradoxalement à accélérer la sortie de la crise. Nous sommes dès lors pris dans des mouvements paradoxaux, coincés entre freinage et accélération, dans une suspension du temps.
Un angle de lecture de la crise peut se faire à travers les temporalités multiples que nous vivons. Les temporalités sociales réduites à peau de chagrin puisque nous n'avons pratiquement plus de contact avec nos proches. Les temporalités quotidiennes empreintes d'inégalités, notamment de genre (les femmes se sont beaucoup plus occupées de l'intendance que les hommes...). Les temporalités numériques qui ont un poids très fort et qui ont pris une toute autre importance. Les temporalités médicales qui sont représentées par les courbes épidémiques, le nombre de morts et de vivants, les chiffres... Les temporalités politiques qui sont représentées par les discours politiques de gestion de la population. Et pour finir, la temporalité du virus, qui elle est inédite dans nos vies, qui suit ses propres temporalités (mutations, contagion...).