La pédophilie ne se lave jamais bien en famille

Article de Vincent Magos, psychanalyste et responsable de la Coordination de l'aide aux victimes de
maltraitances (Ministère de la Communauté française).

Étrange sentiment que d'assister au tollé provoqué par les récentes perquisitions au sein de l'Église et de sa commission ad hoc. Alors qu'il y a peu, l'émoi était grand face aux « dysfonctionnements » de la justice, aujourd'hui on en viendrait presque à lui reprocher de faire son travail. C'est sans doute parce qu'il est bien difficile de penser aux ressemblances entre Marc Dutroux et tonton Jacques ou Monsieur l'abbé ; on préférera toujours que le pédophile soit un monstre qui ne nous ressemble en rien plutôt qu'un familier. Hélas, les chiffres sont là pour nous le rappeler: neuf fois sur dix, les abus sexuels sont le fait d'un proche.

Quand nous ne pouvons les ranger dans la catégorie de l'inhumanité, notre difficulté à prendre en compte ces pratiques amène très souvent à les minimiser : « c'est un accident, une folie passagère, il a compris, cela ne se reproduira plus ». Pire, les faits sont parfois déniés : « Qu'est ce que tu racontes ! » Et l'enfant est alors renvoyé à sa solitude; la honte de l'abuseur devient celle qu'il doit porter. Dans ces cas, trop souvent, on cherche à laver son linge sale en famille et c'est bien ce qui ajoute de la confusion, du glauque. Les choses sont tues, étouffées, parfois exprimées à mi mot, en sous entendus empoisonnés. Comprenne qui pourra... personne ne comprend. Le climat incestueux vient augmenter les confusions alors que, justement, il est nécessaire de séparer, de dire, de porter un jugement clair. On peut s'interroger si l'Église et sa commission ne procèdent pas exactement du même modus operandi de messes basses et autres étouffements coutumiers aux familles incestueuses : la loi du silence. En faisant irruption dans le monde onctueux et feutré de « notre grande famille », la justice vient rappeler qu'il est des arrangements qui n'arrangent rien ; que du contraire. La violence de la justice est l'indispensable violence de la loi, à laquelle tous sont assujettis et qui seule permet le vivre ensemble.

On a entendu dire que la commission ad hoc voyait son rôle thérapeutique maintenant anéanti. De telles idées procèdent également de la confusion. Ce qui est thérapeutique c'est avant tout d'aider victimes et agresseurs à distinguer les rôles, les places, les registres : on ne peut être en même temps le père et l'amant, la justice de Dieu n'est pas celle des hommes, crimes et péchés ressortent d'autres logiques, thérapie et justice aussi.

En termes de santé mentale, l'intervention de la justice peut avoir des effets très bénéfiques tant pour l'agresseur que pour sa victime mais elle n'en constitue pas pour autant une thérapie, laquelle procède d'une longue élaboration psychique et réappropriation de son histoire, traumatismes compris.

Ici aussi, chacun gagne à rester dans son rôle. Mais ce serait faire mauvais procès que de laisser entendre que les policiers seraient incapables de tact, d'humanité, de discrétion. Nous n'en sommes plus au temps où la femme violée était accueillie d'un air goguenard au commissariat. L'accueil, l'audition et l'aide aux victimes a fait l'objet ses dernières années de nombreux programmes de sensibilisation et formation.

Par contre ce qui pose plus de problème, ainsi que l'a récemment rappelé Cédric Visart de Bocarmé ce sont les relations contre nature entre certains enquêteurs et la presse. Et l'on attend, en vain, une mise à pied ou le versement d'un lourd dommage et intérêt pour que cessent ces pratiques qui, sous l'alibi du droit d'informer, ouvrent la porte à la justice de la rue: furie des lynchages et cause de suicides.

Avant de conclure, il faut tordre le cou à cette croyance qui voudrait que le célibat des prêtres favorise la pédophilie. Par contre, on peut émettre l'hypothèse qu'un certain nombre d'hommes peu à même de vivre une sexualité adulte se réfugient dans les jupes de notre Sainte mère l'Église.

 

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