Les professionnels sont souvent amenés à s’interroger sur ce que l’on qualifie rapidement de « différence culturelle » dans les milieux d’accueil, les écoles ou lors de l’accompagnement des familles. Les exemples de situations où se confrontent plusieurs conceptions de ce qu’il est bon de faire font partie de leur quotidien. C’est par exemple ce qui s’est passé dans un milieu d’accueil où un bébé de nationalité turque ne parvenait pas à s’endormir. Une discussion avec la maman a fait apparaître que celle-ci emmaillote son bébé à la maison et qu’il ne s’habitue pas au mode de couchage de la crèche. Il y a plus de cinquante ans que la pratique systématique de l’emmaillotage a été abandonnée ici ; comment faire alors sans entrer dans un « choc des cultures » qui n’aidera certainement pas ce bébé à dormir ?
Le plus souvent les évènements qui mènent à des réflexions sur les « différences culturelles » se rapportent à des personnes venant d’ailleurs. Notons au passage que certains « ailleurs » ont moins la cote que d’autres. Pourtant, des différences se marquent d’une autre façon, par exemple sur le plan du genre (un puériculteur travaillant en crèche et que ses collègues ne trouvent pas suffisamment ‘maternant’), d’une incapacité physique (une maman malvoyante) ou encore sur le plan de la famille (les familles homosexuelles par exemple). C’est tout cela la diversité, mais c’est beaucoup plus encore puisque les familles aménagent des manières de vivre et d’élever leurs enfants qui sont parfois difficiles à comprendre. Cette diversité rend complexe le travail des professionnels auprès des familles et des enfants.
La question à résoudre est de savoir comment, dans la pratique, éviter non seulement d’enfermer dans une identité figée celui ou celle qui agit différemment, mais aussi de faire comme si cette question n’existait pas. Pourquoi ? Parce que la notion de différence s’oppose à celle de normalité, avec le risque d’exclure ou de stigmatiser ; parce qu’identifier quelqu’un comme définitivement différent ne tient pas compte du fait que les individus changent, se transforment au cours de leur vie. Mais aussi, à l'opposé, parce que le déni de la diversité peut nuire à la construction de l’identité de l’enfant et empêcher de voir les discriminations quand il y en a. La fréquentation des milieux d’accueil du jeune enfant et de l’école maternelle représente la première expérience véritablement sociale de l’enfant : placé hors de sa famille, de ses habitudes et de ses valeurs, l’enfant va se découvrir à travers les relations quotidiennes avec d’autres adultes et d’autres enfants. Il n’est pas souhaitable qu’il doive laisser une partie de lui-même sur le pas de la porte. Valoriser l’enfant dans ses appartenances multiples aide celui-ci à se construire harmonieusement et évite de renforcer implicitement un modèle dominant. C’est pourquoi il est plus positif de parler de diversité que de différence, parce qu’elle est vue davantage comme une ressource, alors que la différence s’interprète comme un écart par rapport à une norme.
Dans les milieux éducatifs, le but n’est pas de participer à la construction de l’identité des enfants en faisant table rase de ce qu’ils sont. On ne vise pas à éduquer les Belges de demain selon un moule prédéfini. Il s’agit plutôt de favoriser une identité singulière au départ d’appartenances multiples, en étant créatif et en construisant des ponts avec les cultures familiales et les différentes appartenances des enfants. Cela suppose rencontre avec les parents accompagnés de leurs enfants et reconnaissance de ce qui fait la singularité de chaque individu. Cela nécessite également que les personnes dépassent le niveau du ‘nous’, collectif, pour arriver à celui du ‘je’ qui permet la réciprocité. Dans l’exemple cité plus haut, cela suppose que le professionnel puisse entendre les raisons qui ont amené ces parents à emmailloter leur bébé (tradition ? culture ? ou simplement moyen qui semble efficace dans l’expérience des parents ?) sans juger la famille et tout en s’interrogeant sur ses propres références. En l’occurrence, un mode d’emmaillotage faisant l’assentiment de la maman comme de la responsable du milieu d’accueil a été adopté pour un certain temps.
D’accord, mais il y a des limites ! entend-on. La limite, c’est d’abord la situation de l’enfant, sa réalité dans le milieu éducatif et dans sa famille. La limite, c’est également ce qui découle des normes et des règles de vie en collectivité. Or il apparaît que ces dernières ne sont pas toujours explicites pour tous. Il est bon de les faire connaître mais aussi d’estimer quels sont les risques que l’on imagine si elles venaient à être transgressées ou simplement modifiées. C’est parfois peu de chose. Les limites sont donc négociables et cela d’autant plus lorsque le bénéfice est d’inclure un enfant ou une famille et de partager la responsabilité de l’éducation. Enfin, n’oublions pas que d’autres enjeux peuvent se faire jour dans ces petits événements. C’est l’exemple d’une crèche où, sous prétexte de négocier une mise sur le pot jugée précoce par la crèche, une maman ‘venant d’ailleurs’ testait l’équipe pour voir si elle avait la possibilité d'être entendue et ainsi rassurer sa propre famille sur le fait qu’elle pouvait mettre en toute confiance son bébé à la crèche.