Billet invité de Xavier Deutsch paru initialement dans La Libre, la DH et l'Avenir
La Cour de cassation va évaluer bientôt la validité de la décision prise naguère par le Tribunal d’application des peines de Mons touchant au cas de Michelle Martin, et le moment me semble bien choisi pour faire entendre une voix différente de celle que les médias nous servent souvent. Dans le choix qu’elles ont fait d’accueillir Michelle Martin, les Clarisses de Malonne se sont comportées non seulement d’une façon humaine, exemplaire, mais également d’une façon hautement démocratique. L’arrêt du TAP de Mons est, sauf avis contraire de la Cour de cassation, conforme au droit belge. Nous ne devrions pas aller voir plus loin. Rien n’est pire, dans un Etat de droit, qu’une justice d’exception. C’est la noblesse et le métier de nos magistrats de faire valoir le droit, tout le droit, rien que le droit. La question n’est pas de savoir si Michelle Martin est un être digne de sympathie. Ni de savoir si sa libération est un fait agréable à connaître. La question, la seule question, est de savoir si elle réunit les conditions pour prétendre à la libération conditionnelle. De façon étonnante, pourtant, on laisse entendre un bruit de fond qui revendique autre chose. Cette revendication ne s’appuie sur rien d’autre qu’une vague, indéterminée, ectoplasmique opinion publique.
On en entend qui se prévalent de l’opinion publique pour faire obstacle à la libération conditionnelle de Michelle Martin. Je refuse absolument ce procédé. Qui sait ce qu’il en est de l’opinion publique ? Qui l’a mesurée ? Pour un citoyen qui brandit sa colère, combien y en a-t-il qui, silencieux, pensent au contraire que la justice doit s’appliquer ? Pour un citoyen qui clame son émotion devant un journaliste venu en hâte lui tendre un micro, combien y en a-t-il qui pensent que l’émotion n’a pas sa place dans les décisions de justice ? Qu’on arrête donc d’exciper d’une prétendue opinion publique pour passer outre le droit. Qu’on arrête donc de prétendre que le peuple belge est pris à la gorge par une émotion incoercible. Je veux ici rendre un hommage à ces clarisses admirables qui disent : "Dans un monde tremblant, secoué, n’ajoutons pas de la violence à la violence." Aux vociférations de certains, elles répondent par des gestes et des paroles de paix, d’amour et de justice. Je suis consterné de voir à quel point leur attitude, si courageuse, si rare, si précieuse pour les humains que nous sommes, est vilipendée. Dans le cas qui nous occupe comme dans de nombreuses autres directions où le regard se porte, nous avons besoin des clarisses de Malonne. Par ce temps de grand vent, elles portent une lanterne à bout de bras et nous donnent le cap de ce qui nous est le plus nécessaire. Puissent-elles ici en être remerciées. Notre monde a besoin d’elles, d’hommes et de femmes comme elles, et de juges intègres.
Xavier Deutsch est écrivain.