Billet invité d'Antoine Leroy, Avocat, originellement paru dans La Libre le 03/08/2012
Non, je suis désolé, mais je ne trouve pas monstrueuse la décision prise par le Tribunal d’application des peines de libérer Michelle Martin, conformément à la loi, étant entendu que, selon les informations disponibles dans la presse, elle était admissible à cette libération depuis plus de cinq années et qu’une décision analogue avait déjà été prise il y a plus d’un an, mais n’avait pu être mise en œuvre pour des raisons pratiques.
Par contre, je suis effrayé par ces projets de marches de la haine, ces propos orduriers, voire ces appels au meurtre, diffusés sur Internet, suivis de ces dégradations commises au préjudice de cette communauté religieuse qui a le tort d’accepter en son sein celle dont personne ne veut, contraignant la police à protéger cette institution et ses membres.
Ici encore, la passion l’emporte sur la raison, sans doute parce que l’opinion publique ne parvient pas à distinguer la justice de la vengeance. Déjà dans les sociétés primitives, le corps social s’est aperçu que la vengeance, qui implique la punition de l’auteur d’un fait délictueux par celui qui s’en estime préjudicié, devait être institutionnalisé afin d’éviter le chaos. Cette confiscation du "droit" individuel de vengeance de la victime au profit de la société s’appelle la justice. On ne peut pas violer celui qui a violé, on ne peut torturer celui qui a torturé et on ne peut occire celui qui a tué.
A la place, un système de sanction est organisé et mis en œuvre par des magistrats, au nom de la société. Cette notion n’est cependant jamais totalement entrée dans les mœurs, et on le remarque particulièrement à l’occasion de ces affaires médiatisées. Pourquoi les prisons sont-elles dans un tel état de délabrement ? Parce qu’aucun responsable politique ne croit utile de se saisir de ce problème, électoralement délicat. Le coupable doit payer, doit souffrir et tant mieux s’il se trouve dans une cellule insalubre et surpeuplée, traité comme un animal.
La presse d’hier se faisait l’écho du témoignage d’un parent d’une victime : pourquoi aurait-elle une deuxième chance, elle, puisqu’elle n’en a laissé aucune à sa fille ? La réponse est pourtant simple : la justice n’est pas la vengeance et si la société se comportait à l’égard des condamnés comme ceux-ci se sont comportés à l’égard de la société, le caractère répréhensible, et parfois odieux, des faits pour lesquels ils ont été condamnés serait finalement légitimé par la société elle-même. Et paradoxalement, infliger à un coupable ce qu’il a fait subir à une victime conférerait à celui-ci le même statut.
On entend aussi que la justice est rendue contre le peuple. C’est exactement l’inverse qui s’est passé en l’espèce. Michelle Martin a été condamnée par un jury populaire à un emprisonnement de trente ans. La première question que posent les jurés au président de la cour d’assises lorsqu’ils entrent en délibération est de connaître la partie effective de la peine d’emprisonnement qui devra être subie par le condamné. Ici, le jury a décidé d’infliger une peine de trente ans, en étant parfaitement informé qu’après dix ans, une libération conditionnelle était possible.
Revenir sur ce qu’a décidé ce jury, en parfaite connaissance de cause, reviendrait donc à mettre à néant la décision du peuple. Les propos les plus consternants entendus ou lus ces derniers jours n’émanent en réalité pas de l’opinion publique, mal informée, mais de ses représentants. Profiter de cette triste affaire pour critiquer les institutions judiciaires, pour s’indigner de l’application de la loi ou pour relancer cette théorie boiteuse des peines incompressibles, que la France se prépare à abroger, à quelques mois d’élections communales, est désespérant.
Tout aussi critiquable est cette décision du parquet général de signer un pourvoi dans le seul but, semble-t-il, de maintenir en détention cette femme un mois de plus, puisqu’à ce jour il n’a jamais été question d’un quelconque moyen de droit permettant de soutenir ce recours extraordinaire, pour ensuite reporter, sans doute, la responsabilité de cette libération sur la méchante Cour de cassation, celle-là même qui avait déjà rendu cet arrêt Spaghetti tellement critiqué. Il est tellement facile de hurler avec les loups. Eduquer, éclairer la population à propos de ces questions fondamentales qui l’intéressent au premier chef nécessite bien entendu un travail plus long, plus complexe, mais tellement nécessaire dans une société démocratique.