La disparition du certificat de bonne vie et mœurs

La presse s’est récemment fait l’écho d’émotions concernant
l’annulation de l’obligation pour les personnes travaillant avec les
enfants de produire un certificat de bonne vie et mœurs.

La Ligue des droits de l’Homme est notamment à l’origine de cet arrêt.
Nous avons demandé à Manuel Lambert, Conseiller juridique de Ligue des droits de l’Homme, de nous éclairer sur cette question.

Comme à l’accoutumée, notre rubrique débat est ouverte à vos réactions

 

La disparition du certificat de bonne vie et mœurs : avancée ou recul ?

par Manuel Lambert [1]

 

Introduction

En
adoptant la loi du 8 août 1997 relative au casier judiciaire central,
le législateur a créé un seul casier judiciaire, par opposition aux
pratiques antérieures qui impliquaient la coexistence de différents
types de casier. L'objectif était alors de centraliser les données
concernant les condamnations des personnes et de connecter directement
les administrations communales à ce réseau d'information.

Ce
faisant, le législateur prît la décision de remplacer les certificats
de bonnes conduite, vie et mœurs (CBCVM) par des extraits du casier
judiciaire. En effet, les CBCVM présentaient certains inconvénients en
matière de protection de la vie privée et de réinsertion des personnes
condamnées, en raison de leur champ d'application plus étendu que celui
de l'extrait de casier judiciaire.

Toutefois, les arrêtés
d'application qui auraient permis de rendre effectif ce changement
n'ont jamais été adoptés par le gouvernement.

Une circulaire problématique

Par
la suite, le Ministre de l'Intérieur a adopté, en 2002, une circulaire
donnant les instructions nécessaires aux fonctionnaires pour effectuer
les enquêtes de moralité sur les personnes concernées par l'octroi d'un
CBCVM.

En effet, la circulaire prévoyait la coexistence de
deux types de certificats : un certificat « classique », pour toutes
les activités en général, et un certificat « particulier », requis pour
l'exercice d'activités qui impliquent de rentrer en contact avec des
enfants.

Un problème résidait dans les enquêtes nécessaires
pour l'octroi de ce deuxième type de certificat (dit de type 2). En
effet, la circulaire permettait aux polices locales d'effectuer des
enquêtes « de moralité ». Ce type d'enquête était menée par un agent de
quartier et ne se basait pas sur des faits objectifs, comme par exemple
les condamnations judiciaires, mais se déroulait en totale
contradiction avec la loi du 8 décembre 1992 relative à la protection
de la vie privée.

En effet, l'agent de police qui procédait
aux enquêtes interrogeait le voisinage, effectuait des visites
domiciliaires, se basait sur des considérations totalement étrangères à
l'objet de son enquête. De ce fait, des enseignants se sont vu apposer
certaines mentions inappropriées sur leur CBCVM, comme par exemple une
mention de « réfractaire à l'autorité » ou encore des considérations
sur l'état de propreté du domicile de l'enseignant… Ils étaient donc
totalement soumis à l'arbitraire et aux fantasmes des policiers
enquêteurs comme de leur voisinage, sans aucune possibilité de recours.

De plus, des attitudes différentes de la part des pouvoirs
communaux ont été constatées : certaines respectaient le texte de la
circulaire à la lettre et procédaient à des enquêtes de moralité
approfondies lorsque d'autres se bornaient à des enquêtes plus
superficielles en raison des dérives inhérentes à cette circulaire. Par
conséquent, les individus se voyaient appliquer un régime différent en
fonction du lieu de leur domicile. Ce qui ajoutait encore à
l'arbitraire de la situation.

Bref, devant le caractère
éminemment intrusif de ces enquêtes et la stigmatisation qu'elles
entraînaient chez des individus qui n'avaient rien d'autre à se
reprocher que de ne pas avoir de bonnes relations avec leurs voisins,
des enseignants se sont émus et ont décidé de contester la légalité de
cette circulaire. Avec le soutien de la Ligue des droits de l'Homme
(LDH), ils ont introduit une requête en annulation devant le Conseil
d'Etat.

Promesses non tenues

Parallèlement à cette action
en annulation, la LDH a décidé de rappeler au gouvernement sa carence
en matière de mise en œuvre de la loi du 8 août 1997 relative au casier
judiciaire central. Ce qui aboutit à la promesse du gouvernement, dans
l'accord gouvernemental de juillet 2003, de supprimer le CBCVM et de le
remplacer « par une consultation du casier judiciaire, avec des
garanties de respect de la vie privée ».

Malgré plusieurs interpellations des différents ministères concernés, cette promesse électorale n'a jamais été tenue.

Le
22 décembre dernier, le Conseil d'Etat constatait l'illégalité des
circulaires concernant le CBCVM et prononçait leur annulation.

Conséquences

Faut-il se réjouir de cette annulation ? Dans une large mesure, oui.

Tout
d'abord en raison du fait que les enquêtes de moralité, qui
instauraient une suspicion généralisée sur et au sein des personnes
étant en contact avec des enfants, ne sont maintenant plus possibles.

Ensuite,
parce que le CBCVM constituait un véritable frein à la réinsertion des
personnes ayant fait l'objet d'une condamnation judiciaire. En effet,
pour pouvoir bénéficier de congés pénitentiaires et espérer pouvoir
obtenir une libération conditionnelle, les détenus doivent justifier
d'un emploi. Or, la plupart des employeurs exigeaient un… CBCVM ! Ce
qu'ils sont par définition dans l'incapacité de fournir étant donné
qu'ils sont détenus suite à une condamnation judiciaire… Situation
kafkaïenne s'il en est.

Or, les détenus sont dans leur grande
majorité issus des couches les plus populaires de la société et ont
généralement très peu de qualifications professionnelles. Ce qui
signifie que les CBCVM les condamnaient à être exclus du marché du
travail et maintenus dans une situation de précarité. Les objectifs de
réinsertion et de protection de la société attribués à la prison ne
sont alors pas atteints, car dans ce cas de figure la récidive n'est
jamais très loin.

Le « filtre à pédophile »

Suite à
l'annulation des circulaires concernées, des voix se sont élevées pour
déplorer cette levée du « filtre à pédophile » que constituait le
CBCVM.

Nous ne pouvons, à notre tour, que déplorer cette prise
de position. En effet, s'il est tout à fait indispensable de prévoir
des garanties quant à l'accès à certaines fonctions, l'utilisation du
CBCVM est dans ce cas de figure totalement disproportionnée.

En
outre, prévoir la possibilité d'enquête de moralité pour déterminer si
une personne fait l'objet ou a fait l'objet de poursuites pour
pédophilie est en totale contradiction avec le principe du respect de
la présomption d'innocence, principe garanti par la plupart des
instruments internationaux de protections des libertés fondamentales
auxquels est partie la Belgique.

D'une part, en vertu de la
loi relative à la détention préventive, en cas d'absolue nécessité pour
la sécurité publique, et si le fait est de nature à entraîner pour
l'inculpé un emprisonnement correctionnel principal d'un an ou une
peine plus grave, le juge d'instruction peut maintenir l'inculpé en
détention préventive.

D'autre part, il est indéniable qu'il
existe un risque majeur de stigmatisation à l'égard des personnes qui
font l'objet de poursuites mais se voient ultérieurement blanchies par
la Justice.

Enfin, le pédophile fait une nouvelle fois figure
de personnage repoussoir justifiant l'adoption de mesures liberticides.
C'est d'une part oublier le fait que dans 90% des cas la maltraitance
d'enfant est interne à la famille ou à son entourage direct et d'autre
part cela permet d'occulter les problèmes sociaux à la base de ce type
de maltraitance.

L'extrait de casier judiciaire

En fait, le
problème principal du CBCVM réside dans le fait que de très larges
portions des employeurs en faisaient la demande. Ce qui hypothéquait
toute chance de reclassement pour les personnes ayant commis une faute,
parfois mineure, dans le passé. Les personnes concernées se voyaient
donc en quelque sorte condamnées à vie.

Si on peut comprendre,
et même souhaiter, la nécessité d'éviter que certains individus ayant
un passé judiciaire lourd n'entrent en contact avec des enfants, il
convient de limiter l'accès aux informations sur ce passé judiciaire au
cas où cela se révèle pertinent.

Par exemple, on devrait
prévoir que les individus ayant fait l'objet d'une condamnation pour
coups sur mineurs ou pédophilie n'aient pas accès aux postes
d'enseignants, que les personnes qui postulent dans le secteur de la
sécurité n'aient jamais été condamnés pour coups et blessures
volontaires, que les personnes désirant exercer une fonction dans
l'administration n'aient jamais fait l'objet d'une condamnation pour
corruption… Mais pas qu'un enseignant à fait l'objet d'une condamnation
pour des faits de roulage, par exemple.

Bref, il faut
impérativement déterminer quelles informations peuvent être transmises
et à quelles instances ou préciser qui pourra demander un extrait de
casier judiciaire et pour quelles condamnations. Il faut donc limiter
le champ d'application de l'extrait de casier judiciaire.

Cet
objectif de ne laisser un accès qu'aux informations pertinentes en
fonction de l'usage du document demandé figure aussi dans la
déclaration gouvernementale de 2003…

Reste maintenant au gouvernement à faire, enfin, son travail…

[
1] Manuel Lambert est conseiller juridique à la Ligue des droits de
l'Homme. Cet article est paru de manière abrégée dans Le Soir (16
février 2007)

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