Le pédophile, symptôme d’une époque ?

Depuis quelques temps, Jean-Pierre Lebrun, psychiatre et psychanalyste s'interroge sur la "position" du pédophile ainsi que la place que celui-ci prend dans les médias et, l'imaginaire social.

Les hypothèes qu'il émet ne sont pas sans influence sur les pratiques quotidiennes. Il nous a dès lors semblé important de lui poser quelques questions en guise d'ouverture à cette page Débat

Comment comprendre que le pédophile soit à ce point une figure qui suscite la peur, bien au delà des risques réels ?

D’abord on ne peut que s’étonner : voilà tout à coup une unanimité dans notre discours social, un quidam à propos de qui un accord spontané semble exister entre tous pour lui faire porter la responsabilité du mal ! Dans notre temps d’incertitude radical - le bien, le normal, le sexe, la mort, la parenté, la naissance ... - cela mérite au moins de s’interroger un moment !

Il se fait que j’ai toujours constaté que dans un groupe ou une institution, lorsque l’autorité - pour une raison ou une autre - n’est plus en mesure de fonctionner, il est fréquent qu’émerge quasi spontanément la figure de ce qu’il faut alors bien appeler un bouc émissaire.

A un échelon plus macroscopique, je soutiendrais donc volontiers que c’est ce qui se passe aujourd’hui dans notre société avec le pédophile. Dans notre lien social, il existe aujourd’hui une difficulté à consentir à une autorité même légitime mais un consensus se fait spontanément pour jeter l’opprobre sur le pédophile.

Vous soutenez que l'affaiblissement du lien social et dès lors la difficulté à consentir à une autorité explique ce phénomène de bouc émissaire. Le pédophile serait donc considéré comme le symptôme des dysfonctionnements de notre société ?

Je considère en effet que le pédophile est pris dans un enjeu qui dépasse la pure et simple condamnation de son comportement. C’est lui qui prend les coups en lieu et place de celui qui occupe la place de l’exception mais qui n’est plus en mesure de soutenir l’adresse de la violence. C’est en effet une des fonctions de l’autorité que d’avoir à supporter la part de violence qui, toujours, habite le groupe. Ainsi le collectif cimente son unité à son détriment mais en le faisant sur le dos d’un bouc émissaire, il “passe à l’acte” sa violence et ne fait plus le travail de se contraindre à la transformer en autre chose que de la destruction.

Cette réaction collective trouve sa source dans la sexualité et le retentissement que l'abus provoque en chacun de nous ? Comment cela procède-t-il selon vous ?

Sans être délibérée, cette stratégie permet au social - apparemment et momentanément - de se débarrasser d’une vérité à laquelle il n’est plus capable de faire face (la différence des places) et c’est en fonction de sa proximité avec cette vérité que le bouc émissaire est choisi : l’unanimité s’est ainsi faite dans l’opinion au sujet du pédophile, au point même de mettre sous son égide des figures cliniques qui ne renvoient pas à ce diagnostic. Mais de ce fait c’est aussi de la sexualité infantile elle-même - autrement dit de la découverte freudienne - que nous nous débarrassons en criant tous haro sur ce baudet !

Ainsi plutôt que de devoir tirer conséquence de ce que la sexualité humaine est par définition toujours traumatique, on peut d’un côté penser une enfance vierge de tout sexuel - blanche - et de l’autre, accuser le pédophile d’être la cause du mal - même si on risque alors d’en voir partout la figure là où le sexuel pourrait survenir.

Donc, la sexualité aujourd'hui aboutit à créer un climat de plus en plus incestuel, avec quelles retombées dans la vie sociale et sur le plan clinique ?

Vous avez raison mais vous allez très vite, voire trop vite. Il faudrait reprendre ce lien que vous faites mais effectivement, l’interdit de l’inceste qui, pour le psychanalyste, est beaucoup plus qu’un problème juridique ou même anthropologique puisqu’il est à la racine même de notre aptitude au langage, est lui aussi ébranlé comme plein d’autres de nos certitudes. Et la fin de la légitimité de l’autorité reconnue par tous comme allant de soi, n’y est pas pour rien. De ce fait, l’inceste peut et doit être appréhendé avec une palette de nuances qui, hier, se réduisait à la loi du tout ou rien. Autrement dit, il s’agit désormais d’aborder et d’élaborer l’inceste comme les Inuits le font de “la neige” lorsqu’ils la désignent pour en dire les nuances, d’une dizaine de mots là où nous n’en avons qu’un. Les couleurs de l’inceste, donc au-delà du blanc ou du noir, tout un spectre ! Et le terme d’incestuel que vous utilisez est certainement déjà l’une de ses nuances que les cliniciens ont introduite pour faire face à ce qui se passe.

La prévention doit donc aborder, dans sa globalité, la question sexuelle et la question de l'altérité?

Encore une question pertinente mais qui demanderait un long développement pour y répondre correctement. Mais disons le sommairement : ce que vous dites est juste simplement parce que la sexualité humaine, du fait d’être prise dans le langage, non seulement ne peut être dissociée de l’altérité, mais sexualité et altérité se co-constituent ensemble. C’est là la richesse et la difficulté de la sexualité humaine et c’est pourquoi un peu de discernement et de rigueur nous seraient bien utiles pour nous atteler à une prévention plus judicieuse et ne pas réserver notre aide aux seules victimes.

Qu'en pensez-vous ?

 

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