L’importance de la dimension collective, culturelle de la violence, du trauma et de sa réparation doit être examinée à travers l’analyse de situations traumatiques appartenant à des aires différentes. On se trouve dans des situations différentes où les processus traumatiques sont à l’œuvre même s’ils diffèrent par leurs assemblages, leurs natures et bien sûr, leurs intensités. Enfin, ces situations traumatiques doivent être observées avec des méthodes différentes : analyse sémiologique des traumas directs et indirects, des traumas des bébés et des parents, analyse des processus de transmission et des contre-transferts individuels et culturels… Ainsi, les traumas extrêmes, malgré leur singularité, éclairent les traumas ordinaires et la réciproque est vraie, pour nous aussi.
La question des violences collectives, qu’elles soient dues aux catastrophes dites naturelles ou à celles que constituent les guerres, rejoint donc celles des traumas ayant lieu ici, où la plupart se vivent dans les familles, à l’école, dans les quartiers, tout près de chez soi. Souvent ces situations sont traitées séparément dans la mesure où ceux qui travaillent ici et ailleurs ne sont pas les mêmes, la plupart du temps : ceux d’ici se qualifiant de « penseurs », et ceux de là-bas – qui travaillent dans l’urgence et la nécessité des guerres et des catastrophes et sont centrés sur l’action, sur le « faire » – étant qualifiés péjorativement de « faiseurs »… et bien sûr de piètres penseurs !
Notre postulat, né de la nécessaire et récente rencontre entre la psychiatrie transculturelle et la clinique en situation humanitaire, est tout autre : les effets de la violence ne peuvent être pensés qu’en observant ses effets directs et indirects sur les bébés, sur les enfants, sur les parents, sur le groupe et sur les thérapeutes qui les soignent. Pour cela, deux conditions sont indispensables : tout d’abord, intégrer la dimension culturelle dans nos observations et nos conceptualisations pour ne pas oublier le groupe ; puis, avoir la force de soigner et donc d’y aller, de prendre le risque de faire même trop peu, risque humain qui présuppose celui de l’imperfection. Faire hors de chez soi n’est pas confortable.
Faire en observant les manières de faire de l’autre, en les tolérant, non pas au sens ancien du terme, « cohabiter », mais au sens moderne, en respectant les différences sans se laisser anéantir par elles, sans devenir impuissant : soigner malgré tout.
Cette dialectique du faire avec rigueur, à partir d’une position modeste et transculturelle, une position interactive, est ce que nous voulons défendre. Non pas comme un aboutissement triomphant avec un esprit de conquistador mais une position qui pose la nécessité d’aller « là-bas » alors qu’on est « ici », d’apprendre du contexte lui-même et d’engager le processus de fabrication de l’humain à partir du rien, de la souffrance ou de la haine qui sont les ingrédients que l’on trouve souvent sur place.
Et second postulat, souvent oublié car trop peu expérimenté : ce voyage-là, cette expérience singulière nous transforme et modifie notre technique.
Non seulement, cela contribue à accroître le savoir universel sur le trauma et la violence faite aux enfants, mais en outre ce détour nous apprend à mieux comprendre et à mieux soigner les traumas et les violences d’ici. Et pour cela, il faut considérer que la violence faite aux enfants n’est pas inéluctable, ni ici, ni là-bas. Aller pour mieux être ici finalement et mieux accompagner les enfants d’ici et leurs parents : de loin, on voit mieux ce qui est près.