Régulièrement, l’actualité met en exergue un fait d’abus sexuel ou de maltraitance. La dramatisation excessive ou l’extrême focalisation sur des événements rares peut avoir des effets nocifs. Aux premières lignes, les enseignants, les éducateurs s’interrogent sur le bien fondé de tel ou tel programme de prévention.
Six points de repères
- Plus de 90% des abus sexuels sont le fait de membres de la famille ou de proches. Le risque d’agression étant nettement plus important dans l’environnement familial, il est inutile de se focaliser sur des prédateurs sexuels rares, il est préférable d’inclure la prévention dans les programmes de soutien à la parentalité ainsi que dans ceux qui aident l’enfant à s’exprimer sur toutes les difficultés qu’il rencontre et les sentiments qu’elles suscitent.
- Il est erroné de croire que les événements d’actualité dramatique sont, en eux-mêmes, anxiogènes pour les enfants. C’est avant tout l’angoisse des adultes qui se transmet à ceux-ci. Le rôle des professionnels est donc d’éviter toute initiative qui augmente l’émotion de même que les flambées médiatiques, et de proposer - si nécessaire - le recours aux services d’aide et d’appui existants. Autant que possible, il est utile d’aider les parents à expliquer à leurs enfants ce type d’événement et son caractère grave et exceptionnel.
- Les campagnes de prévention ciblant les enfants en les responsabilisant à outrance par rapport à leur propre protection sont au mieux inutiles parce que c’est dans la relation que l’enfant apprend à se protéger. Le respect avec lequel le traite son entourage est la base essentielle sur laquelle il va faire cet apprentissage. Ensuite, au gré des événements, les adultes qui l’entourent vont lui apprendre à prendre soin de lui. C’est la raison pour laquelle on privilégiera les outils pédagogiques ou de loisirs qui aident l’adulte à entrer en relation avec l’enfant, à aborder tous les thèmes qui le préoccupent. Il est illusoire de penser qu’un enfant va se protéger à l’extérieur de la maison s’il n’a pas au préalable appris que son intimité était précieuse et l’a vue respectée dans ses lieux de vie. De même, dans le milieu scolaire, l’apprentissage des limites, du respect de l’autre, de la citoyenneté, etc… directement appliquée à la « vraie »vie sociale de l’école (et non à des événements lointains ou théoriques) ont un effet de consolidation préventive sur les abus sexuels aujourd’hui, l’usage des drogues demain… sans que ces thèmes doivent être abordés frontalement.
- Certaines campagnes sont anxiogènes parce qu’elles font peser sur les épaules de l’enfant le poids de sa propre protection. « C’est à toi de faire attention » sous-entendent les cartes de prudence ou autres badges. Ces médias servent d’objet contraphobique pour les adultes et ratent l’objectif d’une éducation prenant pour paradigme le fait que l’adulte est responsable de l’enfant, qu’il est là pour l’aider et l’introduire à la vie. D’autre part, l'enfant qui a été ou est actuellement victime, se sentira encore davantage coupable de n'avoir pas su se protéger. Cette culpabilité ne l'aidera pas à oser en parler et risque d'augmenter la honte qu'il peut ressentir.
- D’autres campagnes sont toxiques parce qu’elles introduisent l’enfant à la sexualité via une sexualité perverse. Toute information relative à la sexualité doit tenir compte du développement affectif et sexuel de l’enfant et intervenir en réponse à ses questions, sans les devancer. Il y a lieu de l’introduire d’abord à l’amour et à une sexualité « normale » bien avant d’aborder la perversion ou les risques tel celui du sida.
- Certains programmes voudraient apprendre à l’enfant à se défendre physiquement de l’abuseur par un apprentissage de coups bien placés. Une étude menée par Finkelhor met en évidence le fait que les enfants qui se sont défendus en situation d’abus, ont subi plus de violences physiques que les autres. Outre le fait que de tels programmes placent également l’enfant dans l’imaginaire d’une agression potentielle omniprésente, il est illusoire de leur laisser croire qu’ils peuvent rivaliser avec l’adulte sur le plan physique, ce qui a par ailleurs des effets négatifs dans d’autres registres également.
En conclusion, quand les adultes sont à l’écoute des questions de l’enfant au fur et à mesure qu’elles apparaissent et quand ils les initient à la vie en commun - ici et maintenant - de leur place d’adultes responsables et capables de parler, alors ils font œuvre de prévention. Animateurs, éducateurs, enseignants… n’ont pas besoin de programme clé sur porte pour un tel travail. Il s’agit avant tout de tenir une place et de saisir les petits événements du quotidien, au fur et à mesure de leur surgissement.
Retrouvez ce texte dans le livre "Points de repère pour prévenir la maltraitance".