[Texte] Être porté pour grandir

 

Conduire les enfants sur le chemin de la vie relève en partie du pédagogique dès l’instant où les enfants vont à l’école. Des instituteurs vont les accueillir pour prendre en partie le relais parental et développer avec eux des stratégies pédagogiques leur permettant d’accéder au savoir. C’est dire que la fonction phorique exercée par les enseignants est évidente.

Un enfant pleure doucement dans le coin de sa classe de petite section. Son papa vient de le laisser à l’école aux bons soins de son institutrice. La maîtresse s’approche de lui et lui dit gentiment : « oh ! Matthieu, on est triste parce que papa est parti à son travail ». Le petit garçon s’arrête un instant de pleurer et regarde l’adulte qui s’adresse à lui. Il sort son doigt de sa bouche et serre son doudou contre son visage. Il reprend ses pleurs un peu plus espacés, et tend les bras vers la professionnelle.  Elle le prend dans ses bras et se dirige vers le centre de la classe où elle a prévu de lire à tous les enfants une histoire pour les accueillir. Elle commence par dire que Matthieu est triste ce matin, mais qu’elle va lire un conte qui va certainement leur plaire à tous, et qu’après, ils feront des dessins et chanteront ensemble. Matthieu, juché sur les genoux de la maîtresse met son doudou dans sa main, et descend délicatement de ses genoux pour aller le mettre dans la poche de son manteau, puis revient auprès de son institutrice, et s’assied à côté d’elle. La matinée d’école commence. Matthieu écoute l’histoire avec une grande attention…

Dans ce récit ordinaire d’une expérience de petite section de maternelle, l’institutrice pourrait exercer la fonction phorique parentale comme le lui demande Matthieu sous le choc de la séparation. Mais la possibilité pour cet enfant de distinguer sa maîtresse de ses parents pourrait en être entachée. Au contraire, elle observe ses pleurs, attend qu’il lui tende les bras et le porte vers le groupe afin de le replacer avec les autres. Elle le laisse faire son travail de séparation avec le doigt dans la bouche, le doudou, les genoux, puis la petite distance entre elle et lui. Cette déclinaison de la fonction phorique contient la potentialité de la séparation en elle. Elle n’est pas une emprise, elle est un portage pour faciliter le travail de séparation.

In Etre porté pour grandir, Pierre Delion, Temps d’arrêt (pp33-34)

 

 

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