Francis Martens s'entretien avec Jean-Claude Matgen pour La Libre Belgique (01-03-2007)
Le psychologue Francis Martens frappé par le mode opératoire du drame nivellois. Pour certaines mères, donner la vie signifie qu'on a le droit de la reprendre.
Francis Martens est psychologue et psychanalyste. Nous l'avons interrogé tout juste après avoir appris le drame familial qui s'est joué à Nivelles.
Que vous inspire un acte comme celui qui vient d'être commis à Nivelles ?
Il faut se montrer prudent car à l'heure où nous nous parlons, nous ne connaissons pas encore tous les détails qui entourent ce drame terrible.
Et il est difficile d'évoquer la personnalité d'une personne qu'on ne connaît pas. Dans des cas comme ceux-là, les réactions à chaud sont dangereuses.
Mais des considérations d'ordre général sont-elles possibles ?
Ce qui me frappe, c'est que l'acte a été commis à l'aide d'une arme blanche.
Un tel mode opératoire fait penser à une orgie de violence, à une rage destructrice terrifiante. Il ne s'agit pas d'administrer une mort douce, par empoisonnement ou administration massive de médicament par exemple, mais de frapper, de longues minutes durant, de transpercer le corps de plusieurs enfants, dans un enchaînement émotionnel qui montre qu'on n'est plus soi-même, qu'on est littéralement hors de soi.
Dans des cas comme ceux-là, la réflexion est exclue. Quand le processus est enclenché, il n'y a plus de limites. Il faut aussi tenir compte du sentiment de panique, qui peut s'ajouter à la colère et jouer les éléments amplificateurs. La spirale ne s'arrête qu'avec la disparition de tous les acteurs du drame.
Souvent, une fois l'acte commis, une fois qu'on en a réalisé toute l'horreur, on se supprime car il n'est pas possible de vivre soi-même avec un tel poids.
Comment imaginer qu'une maman, même désespérée, puisse éliminer ses enfants, des êtres à qui elle a donné le jour ?
Précisément, le fait de donner la vie confère un sentiment de toute puissance.
Pour certaines femmes, se dire qu'on a donné la vie à autrui signifie qu'on a aussi le droit de la reprendre.
Qu'un événement se produise, qu'une crise éclate, qu'on se trouve aux prises avec un problème aigu et insoluble, et la fragilité peut vous faire basculer.
Tout amour comporte sa part de haine; tout amour est fait d'attraction, de désir, d'une part de narcissisme mais aussi d'un attachement viscéral, d'un certain degré de dépendance qui peuvent prendre un tour passionnel. Et faire basculer un être humain dans la violence.
Ces dernières semaines, on a recensé plusieurs drames familiaux, liés le plus souvent à des ruptures amoureuses. Un effet d'entraînement est-il possible ?
Assurément. Nous fonctionnons tous par identification; nous nous trouvons des modèles à travers la littérature, le cinéma, la famille, les amis.
Un événement relayé par les médias, télévisuels spécialement, peut servir d'élément déclencheur.
Quelqu'un qui aurait des idées homicides de ce type et apprendrait le passage à l'acte d'autres personnes confrontées au même genre de difficultés que les siennes est potentiellement placé dans les conditions de l'action.
Prenons l'exemple du suicide : il est culturellement banni, c'est un acte extrême qui fait peur, que la société et les religions interdisent. Or, il existe des "familles à suicide" où, sur plusieurs générations, on assiste à plusieurs disparitions. Pourquoi ? Parce que, une fois la route ouverte, et par identification, cette forme de mort devient acceptable voire recommandable. Il ne s'agit plus d'un comportement lâche mais d'un acte courageux. Le tabou saute. Il m'est déjà arrivé d'intervenir dans des écoles secondaires où un élève s'était donné la mort. On avait assisté dans les semaines qui ont suivi l'événement à plusieurs tentatives, comme si le geste avait servi de déclencheur.
Dans le cas qui nous occupe, il est possible qu'il en soit allé de même.