Article de Sophie Marinopoulos, psychologue clinicienne et psychanalyste (1)
Le déni de grossesse est un processus grave et qui n’est pasrécent. Il s’agit d’une non-prise de conscience de la réalité. Il y aune altération de la représentation de l’enfant : la femme se dit « jene suis pas enceinte, il ne se passe rien ». Le phénomène peut parfoisperdurer durant les neuf mois. Au moment de l’accouchement, la mère setrouve alors confrontée à une réalité qu’elle ne peut plus affronter.Elle va vouloir l’annuler. Il existe également un autre processus,appelé dénégation qui, pour sa part, prend en compte cette réalité. Onse situe dans le « je sais mais je ne veux pas savoir ». Il n’y a pascependant, là encore, de représentation de l’enfant. Dans les cas lesplus dramatiques, on en arrive à l’infanticide. Il n’y a pas decatégorie sociale plus touchée qu’une autre. Le psychisme ignore lesocial. Nous sommes tous fabriqués de manière identique, avec uninconscient qui possède une « alimentation » et une histoire propres.Toutes les tranches d’âge, tous les milieux sont donc concernés, ycompris les mères qui ont déjà eu des enfants. Dans ce dernier cas, onconstate néanmoins qu’il y avait eu précédemment des annonces degrossesse tardives ; le phénomène n’était pas entièrement nouveau.Toutefois, il n’y a pas d’explication toute faite : cessons de chercherdes éléments de réalité dans des histoires psychiques. On aimeraitavoir une explication rationnelle, s’apercevoir que la mère a étémaltraitée, qu’elle est pauvre, et « justifier » ainsi ses actespostérieurs. Or, on se situe dans le domaine du psychisme. Lapsychanalyse a montré que toutes les mères considéraient le nourrisson,au moment de la naissance, comme un objet et non comme une personne.Pour ces femmes qui vont jusqu’à tuer leur progéniture, une fissureapparaît cependant au moment de la grossesse. Le travail traditionnelde maternité ne commence en effet pas au moment de la mise au monde.Durant neuf mois, la mère va imaginer son enfant, le mettre en scène,lui faisant prendre une représentation humaine. Il devient un sujet, unêtre différencié. Il n’y a pas tout cela dans le cas des mèresinfanticides. Elles n’ont pas construit un personnage. Le bébé décèdeparce qu’il n’a jamais été, au cours de cette période, un être humain àpart entière. Il est traité comme un déchet. L’entourage va souventadhérer au déni de la mère, même s’il peut y avoir un soupçon. Il estintéressant du reste de constater que les personnes qui doutent ne vontpas aller vers la femme pendant la grossesse mais vont agir aprèsl’accouchement, par exemple en appelant la police. Elles font ainsivenir le réel par l’extérieur et ne parlent que dans l’après-coup. Dansce genre de couple, on voit souvent qu’il n’y a pas beaucoup dedémonstration des émotions. Les mères peuvent mettre énormément detemps à réaliser leur acte après avoir été découvertes. Cela leur vautdes ennuis au cours des procès car elles apparaissent comme froides,déconnectées. Il est néanmoins très important pour elles que la réalitéarrive sur un mode social (en l’occurrence la police), puis qu’ellessoient jugées. Le pire, pour elles, se seraient de dire qu’il ne s’estjamais rien passé, qu’elles ne sont pas responsables. Elles nepourraient alors jamais s’en sortir. Il faut donc qu’elles soientreconnues coupables, mais avec des peines qui prennent en compte lessoins et le fait que la vie continue. Ce qui me frappe aujourd’hui,dans le cas de ces femmes qui avaient déjà eu des enfants, c’est qu’onne prend pas en compte ces autres progénitures. Or, en les éloignant decelle qui les a mises au monde, avec qui en général elles s’entendenttrès bien, on punit également ces personnes. Ces femmes ne sontpourtant en aucun cas des mauvaises mères. Il faut arrêter des’identifier à l’enfant mort et se dégager de l’horreur. D’une manièreplus générale, je soulignerais enfin que toutes les femmes quiattendent un enfant souffrent d’une grande solitude. Je militefermement pour la prise en charge du psychisme des femmes au cours dela grossesse. Nos maternités s’occupent efficacement mais uniquement del’aspect physiologique. Or, ces femmes ont également besoin d’unimportant soutien psychologique. Elles doivent en effet faire face àune grande angoisse. Propos recueillis par Antoine Aubert
(1) Auteure de : Neuf mois, etc. (avec Israël Nisand, Fayard, 2007) et le Corps bavard (Fayard, 2007).
Cet article est paru en tribune libre dans L’Humanité le 1er septembre 2007
http://www.humanite.fr/2007-09-01_Tribune-libre_Solitude-des-futures-meres
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