Quand un enfant dit qu’il s’ennuie, qu’est-ce qu’il exprime? Cette plainte manifeste son désœuvrement à se retrouver seul, à devoir compter sur lui-même et s’occuper pendant un moment.
Sa plainte est un appel à l’adulte pour l’occuper, lui épargner la difficulté d’apprivoiser le vide.
Obsolète l’ennui ?
La culture ambiante empreinte de valeurs consuméristes, de rentabilité, de performance déteste ces bulles de rien… La surabondance participe à la mauvaise réputation de l’ennui. Notre environnement saturé de bruits, mouvements, écrans, divertissements…rend difficile la confrontation à soi-même.
Les enfants sont emportés dans cette agitation qui leur complique le nécessaire travail d’apprivoiser l’ennui, nourriture essentielle pour grandir et dont l’apprentissage dure toute une vie.
S’ennuyer dès le plus jeune âge
Dans les tout premiers moments de vie du bébé, la présence du parent est nécessaire pour répondre à chacun de ses besoins : le nourrir, le bercer, le rassurer, … Le tout-petit étant incapable de patienter ou de postposer ses désirs. Progressivement, le bébé est confronté aux absences inévitables et nécessaires de son parent et apprend à faire avec ces absences. Pour patienter, il va se mettre à explorer sa bouche, son corps, un coin du tapis, un hochet, exploration qui sera l’occasion de belles découvertes : sa bouche est faite de multiples aspérités, le tapis est tout doux contre sa joue, …
Dans ces interstices offerts par ses parents, le bébé devient capable de se créer une image de sa maman ou de son papa, d’anticiper le plaisir des retrouvailles, le goût du lait qu’il va boire…
A partir de cette alternance nécessaire de présence/absence de ses parents, sa pensée se construit et il découvre le plaisir de jouer avec elle. Le vide est nécessaire pour permettre à l’imaginaire de l’enfant de se développer. Poussé à patienter, il s’imagine son parent, l’objet convoité… Du vide, il fait naître du plein. Grâce à cette capacité d’imaginer, il devient capable de composer avec son désir, de surseoir à sa réalisation voire même d’en supporter sa non-réalisation au bénéfice d’autre chose.
C’est également grâce à l’absence de son parent, en contrepoint de sa présence ajustée, que le bébé découvre qu’il est un autre, qu’il ne fait pas qu’un avec lui. Il prend conscience de son altérité.
Illustration : Quentin Van Gysel
L’ennui terreau de la croissance psychique
Riche de ses premières expériences, l’enfant qui grandit apprend à apprivoiser ces moments de « rien » : d’abord désœuvré, son esprit vagabonde, il imagine un ailleurs, dessine un futur, rêve de folles aventures… et le voilà, parti de rien, en pleine créativité.
Il découvre le plaisir de faire germer quelque chose qui trouve sa source en lui. Et mis bout à bout, ces temps vont l’aider à se construire, à prendre conscience de lui-même, lui permettre de faire connaissance avec son environnement, de découvrir qui il est, ce qu’il aime, ses aspirations pour ‘quand il sera grand’.
Nombreux sont les adultes qui témoignent que ce sont des moments d’ennui qui leur ont permis de se découvrir une passion : écrire, dessiner, lire, photographier…
L’ennui n’est pas désœuvrement
Pour que l’ennui soit bénéfique à l’enfant, un environnement attentif et stimulant lui est indispensable : soins, encouragements, rencontres, discussions, activités… C’est au travers de ce soutien parental, des supports de découvertes qui lui sont offerts que l’enfant se développe et grandit.
Le manque d’attention bienveillante, la négligence sont nocifs pour sa construction, ils entravent sa croissance psychique et le freinent dans son développement sensori-moteur, cognitif et affectif.
La posture de l’adulte
En tant qu’adultes, face aux jérémiades d’un enfant qui s’ennuie, il est souvent plus facile de le mettre devant un écran, de faire avec lui ou de proposer des solutions toutes faites plutôt que de résister et de le renvoyer à lui-même. Parce que nous sommes nous-mêmes souvent englués dans le trop plein, nous voulons à tout prix lui épargner ces moments qui, enfant, nous étaient désagréables ou que nous supportons encore difficilement.
Ne pas céder, résister aux réponses occupationnelles nécessite d’avoir confiance en soi et en l’enfant. Faire le pari qu’au-delà de ses plaintes peuvent naître de belles choses.
Si l’enfant est sans cesse occupé, pris dans une perpétuelle consommation et sans retour à lui-même, aucune place n’est possible pour faire naître la créativité et le désir. Cette petite flamme qui nous appartient, qui trouve sa source dans l’attente. Plus on attend, plus le désir grandit. Or, si l’enfant reçoit sans avoir demandé, le feu n’a pas le temps de s’embraser. Et l’enfant privé de cette attente, de ces temps suspendus, risque d’être voué à exister pour avoir.
La place de l’éducateur
A l’école, dans les loisirs, … il est parfois difficile de résister aux sirènes de la rentabilité, de la performance, de la vitesse.
Alléger la journée des enfants, laisser du temps au rien, à l’activité libre, ne pas systématiquement leur proposer une occupation lorsqu’ils ont terminé plus vite que les autres… leur permet aussi de construire leur pensée, de stimuler leur soif de découvertes et leur plaisir d’apprendre.
Les capacités créatrices, d’imagination, d’autonomie, de connaissance de soi… se fondent sur ces alternances d’attention, de présence et d’absences.