[Billet invité] Vers une médicalisation de l’enseignement ? par Christiane Brewaeys

Quatre enfants, le sourire aux lèvres, se rendent à l’école primaire. Le slogan est clair : « Pour une bonne journée à l’école »

Thomas reçoit son bulletin scolaire, il est en 6ème, nous sommes à la fin du premier trimestre. Ses notes sont bonnes, sauf en comportement, problème et soin.
Madame Martin lui conseille de se mettre au travail, de mieux se comporter et de faire attention, son message est clair : « afin de finir en beauté »
Un bulletin d’enfant « normal », sauf que, sous cet emballage, se cache une publicité adressée aux médecins, encouragés à prescrire un médicament comme remède à un soi-disant trouble du comportement.
Une seule prise par jour et en plus c’est remboursé !
Ce médicament permet : « plus d’attention et meilleur comportement pendant la journée scolaire »

Ce type de conduite des firmes pharmaceutiques ne peut que nous interroger.

  • D’abord peut-on admettre, sans sourciller, que la prise de produits psychotropes soit sans conséquences sur le développement cérébral d’enfants en pleine croissance physique et affective ?
  • Comment justifier cette prise dans l’enfance et interdire quelques années plus tard l’automédication que représentent les consommations de cannabis ou d’autres drogues ?  Le médicament contient en effet du méthylphénidate, classé comme drogue au tableau II par la FDA (agence américaine d’autorisation de mise sur le marché des denrées alimentaires et des médicaments) — tout comme la cocaïne, la morphine et les amphétamines.
  • Comment éviter que, devant les difficultés de la vie, le recours aux solutions médicamenteuses (pilules « miracles », antidépresseurs, tranquillisants,…) ne s’impose sans que cela fasse question ?
  • Pourquoi pas tant qu’on y est des pilules pour calmer les pleurs des nourrissons ?

Cette publicité médicale, pour choquante qu’elle soit, ne doit pourtant malheureusement pas nous étonner. Elle n’est que la conséquence de l’évolution marchande de l’industrie pharmaceutique décrite ces dernières années par des auteurs comme Philippe Pignarre   ou Christopher Lane  : « avant de vendre un médicament il faut vendre la maladie » .
La croissance de l’industrie pharmaceutique (sociétés cotées en bouse) a besoin de cette surmédicalisation. Toutefois elle ne pourrait soutenir cette évolution si l’ensemble de la société ne l’y encourageait. Médicalisation du mal-être social, dépistage précoce des écarts à la norme, contrôle social à tous les niveaux, recherche de la performance, de la productivité et de la rentabilité financière,… Tout concourt à la réification de l’être humain par la multiplication des classifications diagnostiques.
En tant qu’enseignante, on ne peut que constater le changement sémantique en cours : on ne parle plus d’enfants turbulents, mais d’enfants hyperactifs ; l’agitation s’est muée en trouble du comportement (TDAH),… Et la fatigue engendrée par notre métier en « burn-out ».

Christiane Brewaeys, Enseignante retraitée ayant travaillé 40 ans avec des enfants de type 3

 

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