L’actualité met régulièrement en lumière des violences sexuelles à l’encontre de mineurs, parfois des enfants. Commis sur des êtres vulnérables par ceux qui ont la charge de les protéger, ces actes sont vécus, à juste titre, comme intolérables. Ils sont parfois qualifiés de « monstrueux », ce qui indique à quel point nous avons du mal à les prendre en compte comme humains. Et pourtant…
L’indispensable limite à nos désirs
La sexualité au sens large conditionne toute notre vie et nos rapports aux autres, elle parcourt un chemin aux multiples voluptés, aux éveils fulgurants, aux tourments parfois. Et elle se voit confrontée, limitée par le désir de l’autre ainsi que par les règles sociales, la culture.
L’enfant, en ne pouvant accéder à sa mère selon son bon vouloir, se voit limité. Il en va de même pour l’adulte qui est obligé d’adresser une demande à un éventuel partenaire, lequel acceptera ou non, selon des modalités à convenir en fonction du désir des deux personnes et de la société dans laquelle elles vivent.
Si les éléments sociaux sont très variables, une des constantes est d’aller « voir ailleurs ». Les jeunes sont obligés de quitter la maison familiale, de renoncer à l’amour pour leurs parents ou frères et sœurs et de porter leur désir vers une autre famille. L’interdit de l’inceste est à la fois une nécessité psychique, celle de ne pas rester avec du même, et sociale en organisant les échanges et les alliances entre tribus.
Bref toute l’éducation comporte une limitation, une canalisation de nos passions, de nos excès. Il s’agit de les refouler de la même manière qu’avec des digues les hommes empêchent que la mer n’envahisse tout le territoire, les champs cultivés.
Mais, même refoulé, l’océan, tout comme nos désirs les plus violents, reste présents. Si la digue, la structure psychique est trop rigide, elle risque de céder. Néanmoins, une brèche peut s’ouvrir sous l’effet d’une tempête, d’un climat infect. Certains climats sociaux désinhibent, attaquent les « canalisations » sociales. Comment comprendre autrement des événements tels que ceux du Rwanda, par exemple ?
Pour revenir à la sexualité (dans notre culture), celle qui concerne des adultes consentants relève du domaine de l’intime des partenaires, où tout est permis. Par contre l’acte sexuel entre un adulte et un enfant est interdit et sanctionné par la loi. En effet, tout adulte est amené à avoir un rôle protecteur vis-à-vis de l’enfant, et même s’il n’est pas son parent, une telle relation a donc la couleur de l’inceste.
Les désirs des enfants
De son côté – on vient de le voir d’ailleurs – l’enfant peut également ressentir des désirs pour un adulte, voire le solliciter sur un plan érotique. Ferenczi, dans un texte essentiel intitulé « Confusion de langue entre les adultes et l'enfant », montre bien que la tendre langue de l’enfant n’a rien à voir avec la passion de l’adulte et, compte tenu de son développement, la nature de cette sollicitation recouvre pour l’enfant une réalité bien différente. En cas de transgression, le désir que l’enfant a ressenti peut être source de culpabilité, de honte… car croyant qu’il a provoqué l’adulte. Or justement, son immaturité le place dans une position distincte de celle de l’adulte qui sait, lui, que la limite se pose, que l’interdit s’impose.
Le fait de travailler avec des enfants mobilise chez chacun des émotions qu’il importe de reconnaître, d’identifier, de travailler seul et en équipe. Au sein d’une institution, faire l’impasse sur ces questions risque de laisser émerger les conditions d’un débordement.
Le passage à l’acte
Le chaos de nos désirs, la puissance de nos pulsions sont bien réels. Le nier, le refuser, c’est le méconnaître et d’ailleurs rien n’interdit les rêves ou les fantasmes les plus délirants car, pour répondre clairement à la question de départ, ce qui nous différencie du parent incestueux, du pédophile, c’est le fait que nous ne passons pas à l’acte. Cela reste dans notre tête, nous ne franchissons pas le seuil qui nous ferait agir, poser un geste.
Pourquoi l’abuseur passe-t-il à l’acte ? Pourquoi les digues n’ont-elles pas tenu ou n’ont-elles peut-être jamais été construites ? Impossible de donner une seule réponse car un acte incestueux ou pédophile peut être présent dans des profils de personnalité très variables : des personnes attirées de manière irrépressible par les enfants et qui finissent par être déconnectées de la réalité et passent à l’acte, des adolescents en quête d’identité qui s’adressent à un plus jeune par peur de leurs pairs, des personnes débiles mentales, de véritables pervers ou psychopathes… Toutes ces psychopathologies recouvrent des réalités singulières qui nécessitent des prises en charge ajustées. Mais aussi bien sûr des sanctions pénales, car une des fonctions de la justice est de ramener l’auteur d’infraction dans la communauté des humains ; c’est bien pour cela qu’il est condamné à une « peine ».
Le pédophile, figure des temps modernes ?
On peut se demander pourquoi le pédophile fait à ce point la Une des journaux. L’abus sexuel sur enfant existe depuis toujours, il n’y a pas si longtemps qu’existaient encore des bordels d’enfants dans certaines cités européennes, il n’y a pas si longtemps que les victimes devaient encore taire leur douleur et leur honte. Aujourd’hui, ce sujet n’est plus tabou et c’est très bien.
Néanmoins, on peut se demander si une telle médiatisation du pédophile n’est pas parfois l’arbre qui cache la forêt, une manière d’oublier que plus de 90% des abus sexuels ont lieu au sein même des familles. On aimerait tellement que le mauvais soit l’autre ; hélas, « le pire des fous, le dernier des sociopathes, avant d’être ce qu’il est (…) est d’abord un autre moi-même (…). »