[Texte] A chaque naissance, les places dans la famille se rejouent

Toute naissance ouvre sur un changement pour chaque membre de la famille et pour la famille dans son ensemble. Rêvé, attendu ou pas, parfois non souhaité, le bébé quitte la sécurité du ventre maternel pour rencontrer la vie "extérieure". Des nouveaux modes relationnels s’entament pour chacun avec leur cortège de transformations singulières et collectives. Les adultes deviennent parents ou expérimentent une nouvelle manière d’être parent avec ce nouveau bébé. Les frères et sœurs quittent leur statut d’enfant unique, de place de cadets et deviennent les aînés…Les rangs bougent ouvrant sur des surprises, des avantages, des renoncements, des comparaisons. 

Bousculés par l’accouchement, les parents le sont aussi par la rencontre avec ce nouvel enfant. Un flot d'émotions où se mêlent tendresse, surprise, peur, angoisse indicible, parfois dans une franche confusion, touchent le couple et la fratrie. L'équilibre parfois fragile cultivé jour après jour est chamboulé par l'arrivée de ce bébé et tout est à réinventer.

L'adulte a été aussi bébé …

Un tel bouillonnement convoque chez le parent des questions revisitées à partir de sa propre naissance, de son enfance, de son rang dans la fratrie, de l’expérience qu’il a de ses parents qui n’auront pas été « le parent idéal ». Ces émotions émergent à la lumière de ce qu’il vit désormais en direct dans le lien à son bébé. Parfois, ça le déborde au point de gêner la disponibilité qu’il pense pouvoir lui accorder. Car le parent voit son bébé pour ce qu’il est mais aussi pour ce qu’il réveille en lui.

Ce n’est pas forcément à l’arrivée du premier enfant que ces émotions enfouies ou ces expériences non élaborées sont remobilisées. Le sexe du bébé, le contexte de sa conception, les circonstances de la grossesse ou autour de la naissance, également les premières expressions de sa personnalité, peuvent réactiver des événements survenus antérieurement.

Nouvelle place dans la famille, nouvelle histoire…

La fratrie accueille le petit frère ou la petite sœur. Un remue-ménage d’émotions là aussi : entre plaisir et  jalousie… Un nouvel enfant oblige tous les autres à repenser leur place dans la fratrie et avec chaque parent. Il y a des promotions mais aussi des renoncements. C’est ça aussi grandir. Tout l’agencement familial se réaménage pour faire la place au nouveau venu et les liens qui se créent avec lui recomposent le puzzle familial.

Ce nouvel aménagement s'impose d’ailleurs bien au-delà du noyau parents-enfants. Un premier enfant ouvre aussi une nouvelle génération et "donne naissance" à des grands-parents qui vont devoir trouver leur place, s'inventer. Pas facile pour cette jeune maman de trouver sa propre autonomie avec cette grand-mère si enthousiaste. Et comment refuser tant de sollicitude en préservant l’entente habituelle qui repose généralement sur une grande proximité vécue désormais comme intrusive et encombrante ? 

D’autres membres de la famille se découvrent oncle ou tante, changent de facto de rangs, de statuts. Tout cela paraît commun et pourtant cela ne pose pas seulement la question d'amour et de cadeaux à l'enfant. Etre poussé dans une autre génération renvoie chacun à des questions qui touchent à l’identité, au vieillissement, à son désir d’enfant et à sa réalisation ou non …

Le contexte social voire la pression ambiante interviennent aussi dans la représentation singulière de l’enfant parfait et du parent idéal, quête hautement teintée aujourd’hui d’une prescription d’enchantement.  Ce qui met en difficulté les parents et contrarie l’histoire à inventer d’autant que la réalité ne correspond jamais à cet idéal.

« Des racines aux pieds »

D’une génération à l’autre, le terreau familial offre l’assise où poser ses racines pour une histoire chaque fois revisitée. La transmission à l’œuvre sur le chemin de la vie, de la famille et de la parentalité appelle chacun à se construire sur son héritage plus sombre ou lumineux en rejouant sa propre partie, parfois en s’allégeant, toujours en recomposant. Penser les événements familiaux (naissances, décès, maladies, retrouvailles, parfois de simples paroles …) et les émotions qui les accompagnent sont des occasions de faire des liens entre divers éléments de l’histoire, de se souvenir, de s’approprier, se réapproprier son roman familial … « L'important n'est pas ce qu'on fait de nous, mais ce que nous faisons nous-mêmes de ce qu'on a fait de nous. » dit Jean-Paul Sartre.

Chaque naissance interroge les rapports vécus avec les générations antérieures, remanie les bénéfices et difficultés en jeu. Une idéalisation de ces relations peut enfermer chacun et être un frein pour inventer les liens avec la génération suivante. A l’inverse, s’en démarquer à tout prix ne permet pas toujours de tracer sa propre voie. Comprendre la rivalité vécue avec la mère, décoder les peurs induites par le père, interroger sa jalousie vis-à-vis de son frère… Autant de questions à ouvrir, de nœuds à défaire, de fardeaux à déposer pour établir des relations les plus vivifiantes possibles avec ses enfants. Et surtout, se donner le droit à l’essai, à l’erreur et renoncer à la perfection. 

Donner confiance

Au quotidien, au-delà de leur fonction de nursing ou de soin, le professionnel, puériculteur, pédiatre… soutiennent ces mouvements de recherches du jeune parent. Leur présence discrète soutenue par l’écoute et l’accueil de ce qui se donne à voir, de ce qui se confie permet au parent de se dire dans ces petits interstices du quotidien qui deviennent alors espaces d’élaboration. Telle cette sage-femme qui accompagne ce jeune papa pour le premier bain de son bébé en accueillant les mots qui disent sa propre enfance et sa peur de la noyade. Belle occasion de le rassurer que cela va bien se passer, que cela se passe plutôt bien pour lui dont le père ne s’est jamais occupé et qui n’a pas ceci en point d’appui ou modèle lui permettant d’élaborer son propre style parental et son rapport singulier à son enfant.

Permettre à une maman qui confie son bébé à la crèche de dire sa difficulté dans ces moments de séparation avec ce second enfant réactivant sa propre enfance et son lien à sa mère, sans la juger ni se sentir obligé de la questionner davantage. C’est offrir dans ce moment d’accueil, un espace de confidence et d’écoute des mouvements émotionnels qui animent le parent. Et ainsi accorder un appui respectueux et bienveillant pour construire chaque place dans la famille, celle du parent, celle de l’enfant.

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